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Au Pied Levé - À Main Levée

La course à pied, un accélérateur de réflexion

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par , 01/04/2023 à 12h45 (44 Affichages)
Jeudi 5 janvier 2017

L'équipe "Grand bien vous fasse !" :

  • Claire Destacamp, Attachée de Production
  • Ali Rebeihi, Producteur
  • Théo Denmat, Stagiaire
  • Jérôme Boulet, Réalisateur
  • Alexia Rivière, Attachée de production

Les invités :

  • Ali RIBEIHI, France Inter : Après quoi courent les coureurs ?
  • Marion GLEMET, Responsable du service de presse de France INTER
  • Dorothée BARBA, Au téléphone
  • Antoine LY, Reporter
  • Thibault De SAINT MAURICE, Philosophe

Les témoignages :

  • Jean-François DORTIER, Sociologue et directeur du magazine « Sciences humaines »
  • Abraham MASLOW, Psychologue
  • Csikszentmihalyi, Psychologue
  • Haruki MURAKAMI, Auteur de « La solitude du coureur de fond »


Jean-François DORTIER,

Sociologue, fondateur et directeur du magazine « Sciences humaines »,
Auteur du livre « Après quoi tu cours ? » (éd. Sciences humaines).

Après quoi tu cours ?
Enquête sur la nature humaine

Jean-François Dortier
septembre 2016 - 184 pages - ISBN : 97829361063504

Le SDF, assis sur un banc, une bouteille de bière à la main, m’interpelle : « Tu cours après quoi ? ».

Tout en continuant à courir, je me contente de me retourner et de sourire à sa petite provocation. Lui se voit sans doute en homme libre, affranchi des lubies bizarres de tous ces citadins stressés qui passent une partie de leurs loisirs à continuer à courir. Mais sa question mérite d’être prise au sérieux : « Après quoi tu cours ? » Et la réponse est loin d’être évidente.


Le « running boom » est un phénomène planétaire : aujourd'hui, nous sommes des millions à courir dans le monde entier. Mais pourquoi courons-nous tous ? Quelles sont les motivations fondamentales qui guident nos comportements ? Les questions les plus simples sont parfois les plus redoutables.

Dans ce nouvel essai, Jean-François Dortier explore ce phénomène de société – le running boom – pour offrir une réflexion globale sur la nature humaine. Avec le souci de ne pas prendre le lecteur en otage et de nouer avec lui un dialogue ouvert sur une question fondatrice des sciences humaines : Qu’est-ce qu’un être humain ? Et qu’est-ce qui le fait courir ?

Abraham MASLOW, Psychologue
Théorie de la motivation et des besoins

Au cours de sa carrière, Maslow s'est intéressé principalement aux motivations « supérieures » de l'homme dans sa hiérarchie (l'accomplissement de soi) et aux états de plénitude (expériences paroxystiques), ainsi qu'aux fondements de la santé psychique.

Sa hiérarchie des besoins signifie que l'homme n'atteint le plein développement de son psychisme que s'il est satisfait sur tous les plans : physiologie, sécurité, amour (appartenance), estime (reconnaissance) et accomplissement de soi (créativité). Malgré l'apparence rigide de la pyramide faite d'étapes fixes pour la progression, Maslow a dit depuis sa première publication en 1943 que les besoins humains sont dynamiquement fluides — avec plusieurs de ces besoins présents dans une personne simultanément.

Cette hiérarchie est généralement représentée sous la forme d'une pyramide qui, de la base au sommet, distingue cinq niveaux de besoins :

  1. à la base, les besoins physiologiques (tels que la faim, la soif) ;
  2. ensuite, les besoins de sécurité et de protection (tels que le désir d'un toit ou d'une bonne assurance). Ces deux aspects assurent la survivance physique d'une personne ;
  3. puis viennent les besoins d'appartenance, besoins sociaux qui reflètent la volonté de faire partie d'une famille, d'un groupe, d'une tribu ;
  4. ensuite arrivent les besoins d'estime de soi (qui permettent de se regarder dans le miroir le matin) pour les besoins psychologiques ;
  5. enfin, apparaissent au sommet de la hiérarchie, les besoins de s'accomplir.


Csikszentmihalyi, Psychologue

Dans le souci d'identifier les conditions qui caractérisent les moments décrits par les gens comme étant parmi les meilleurs moments de leur vie, Csikszentmihalyii (1975) a interrogé des alpinistes, des joueurs d’échec, des compositeurs de musique et bien d’autres personnes qui consacrent beaucoup de temps et d’énergie à des activités pour le simple plaisir de les faire sans recherche de gratifications conventionnelles comme l’argent ou la reconnaissance sociale. Les résultats de ces recherches lui ont permis de définir le concept de l’expérience optimale, qu’il appelle "Flow" (Csikszentmihalyi, 1990), et qui réfère à l’état subjectif de se sentir bien (Csikszentmihalyi & Patton, 1997). Le Flow peut être ressenti dans divers domaines tels l’art, l’enseignement, le sport... Le Flow se manifeste souvent quand il y a perception d’un équilibre entre ses compétences personnelles et la demande de la tâche (Csikszentmihalyi, 1975).

« Voilà ce que nous entendons par expérience optimale. C’est ce que ressent le navigateur quand le vent fouette son visage… C’est le sentiment d’un parent au premier sourire de son enfant. Pareilles expériences intenses ne surviennent pas seulement lorsque les conditions externes sont favorables. Des survivants de camp de concentration se rappellent avoir vécu de riches et intenses expériences intérieures en réaction à des évènements aussi simples que le chant d’un oiseau [...]. Ces grands moments de la vie surviennent quand le corps ou l’esprit sont utilisés jusqu’à leurs limites dans un effort volontaire en vue de réaliser quelque chose de difficile et d’important. L’expérience optimale est donc quelque chose que l’on peut provoquer... Pour chacun, il y a des milliers de possibilités ou de défis susceptibles de favoriser le développement de soi (par l’expérience optimale). »

Haruki MURAKAMI, Auteur de « La solitude du coureur de fond »
Le 1er avril 1978, Murakami décide de vendre son club de jazz pour écrire un roman. Assis à sa table, il fume soixante cigarettes par jour et commence à prendre du poids. S'impose alors la nécessité d'une discipline et de la pratique intensive de la course à pied.

Ténacité, capacité de concentration et talent : telles sont les qualités requises d'un romancier. La course à pied lui permet de cultiver sa patience, sa persévérance. Courir devient une métaphore de son travail d'écrivain.

Courir est aussi un moyen de mieux se connaître, de découvrir sa véritable nature. On se met à l'épreuve de la douleur, on surmonte la souffrance. Corps et esprit sont intrinsèquement liés.

Murakami court. Dix kilomètres par jour, six jours par semaine, un marathon par an. Il court en écoutant du rock, pour faire le vide, sans penser à la ligne d'arrivée. Comme la vie, la course ne tire pas son sens de la fin inéluctable qui lui est fixée...
Courir, oui, mais pourquoi ?
En ce début d’année, nous avons parfois pris la bonne résolution de courir ou de s’y remettre, ou de préparer un marathon


Entre plaisir et souffrance, la course à pied procure d’immenses bienfaits, de santé, de bien-être psychologique ou de réalisation de soi… Ce matin, on se demande après quoi courent les adeptes du jogging, du footing, du running, bref, de la course à pied ? Au moins 8 millions de Français courent régulièrement… Quelles sont les motivations profondes qui les poussent à chausser une paire de basket et enfiler un legging aérodynamique pour s’enfiler des kilomètres à pied ? Et vous, dîtes-nous pourquoi vous courrez ? Quelles sont vos motivations ? Quelles sont les satisfactions que vous éprouvez ? Et puis dîtes nous également si vous êtes complètement réfractaires à la course !

Le reportage d'Antoine Ly :

L'un des membres de l’équipe de "Grand bien vous fasse !", s'est lancé le défi fou de participer au prochain marathon de Paris. C'est Thibault de Saint Maurice. Et Antoine a voulu l'accompagner à l'un de ses entraînements avec cette question : pourquoi notre ami philosophe s'est-il-imposé, à 37 ans, ce challenge ?

Et quand Antoine a retrouvé Thibault pour cet entraînement, première surprise, c'est sa tenue. Dans le studio de France inter, il est toujours très élégant. Un style vestimentaire un peu à l'anglaise. Mais là, pour ce jogging, Thibault avait mis la parfaite panoplie du marathonien. Casquette, basket de course, un gilet absorbant jaune fluo et un joli fuseau moulant. Antoine a eu un peu de mal à suivre sa foulée.



Ali RIBEIHI :

  • Entre plaisir et souffrance, la course à pied procure d’immenses bienfaits en termes de santé, de bienêtre psychologique ou de réalisation de soi. Après quoi courent les adeptes du jogging, du footing, du running, bref de la course à pied. Au moins huit millions de français courent régulièrement. Quels sont les motivations profondes qui les poussent à chausser des trainings et à enfiler un legging aérodynamique pour avaler des kilomètres à pied. Pourquoi coutent-ils, quelles sont leurs motivations, quelles sont les satisfactions qu’ils éprouvent en courant ?

  • Pensez-vous, Jean-François DORTIER, que l’on peut courir sans raison, comme FORREST GUMP ?

    Extrait de Forrest Gump de Robert Zemeckis avec Tom Hanks (1994) :

    • Pourquoi vous courez ?
    • Vous faites ça pour la paix dans le monde ?
    • Vous faites ça pour les sans-abris ?
    • C’est pour le droit des femmes que vous courez ?
    • Ou pour l’environnement ?
    • Ou pour les aliments ?...
    • Ils ne voulaient pas croire que quelqu’un puisse être assez bête pour courir autant, sans raison.
    • Pourquoi faites-vous ça ?
    • J’ai juste envie de courir…
    • Je ne sais pas pourquoi, ce que je fais semble avoir un sens pour plein de monde.
    • Ça a été comme un déclic dans ma tête, voilà un type qui sait ce qu’il fait, voilà un type qui met ses idées en pratique, voilà un type qui a la réponse.
    • J’ai couru pendant 3 ans, deux mois, quatorze jours et seize heures…

  • Bonjour Jean-François DORTIER, bienvenue dans Grand Bien Vous Fasse, vous êtes fondateur et directeur de l’indispensable magazine « Sciences humaines » et vous venez de publier « Après quoi tu cours ? Enquête sur la nature humaine ». Un samedi matin, vous êtes en train de courir et un sans-abri vous interpelle dans la rue et vous demande : « Tu cours après quoi ? »
Jean-François DORTIER :

  • Oui, effectivement, ce fut le point de départ d’une question toute simple, toute bête. Je cours depuis trente ans et qu’est-ce que je pouvais répondre, honnêtement ? J’ai créé une revue qui s’appelle « Sciences humaines » dont le but est d’essayer de comprendre les êtres humains. Moi-même coureur depuis autant de temps que je fais des sciences humaines, donc je devrais être à même de répondre clairement à cette question, et bien J’ai eu beaucoup de mal à trouver une réponse.

  • J’ai essayé de creuser cette question en y mettant à la fois mes connaissances des sciences humaines, ma propre expérience, mes enquêtes et ça a donné ce livre.
Ali RIBEIHI :

  • Vous-pensez que l’on peut courir sans raison, comme Forest Gump ?
Jean-François DORTIER :

  • On ne court jamais sans raison mais on a toujours des difficultés à expliquer pourquoi on le fait. Certaines personnes disent que c’est pour le plaisir, pour le bien-être. Mais c’est une souffrance de courir, pour l’essentiel c’est un effort que l’on doit faire, c’est une épreuve. Certains disent que c’est une addiction, mais avant que ce soit une addiction, il faut s’être adonné à la course à pied plusieurs fois par semaine, donc ce ne peut pas être une raison primaire. D’autres disent que c’est pour bouger, c’est anti-stress, c’est pour perdre du poids, c’est pour me donner un défi. Toutes ces réponses prouvent que l’on a du mal à expliquer notre propre comportement.
Ali RIBEIHI :

  • Des motivations multiples s’imbriquent pour expliquer ce qui nous fait courir : le philosophe, le sociologue, l’évolutionniste, le psychanalyste, apportent chacun des réponses qui se complètent et qui s’opposent parfois...
Jean-François DORTIER :

  • Chacune des théories des sciences humaines pourrait apporter divers éclairages mais il faudrait comme les pièces d’un puzzle pouvoir les rassembler. C’est pourquoi je tente de redonner une certaine unité à des causalités multiples.
Ali RIBEIHI :

  • Vous écrivez que courir est une énigme…
Jean-François DORTIER :

  • Oui, c’est une énigme pour soi-même. C’est quand même bizarre de se lancer dans des activités qui demandent autant d’exigences sans pour autant pouvoir les expliciter. Autour de soi, on passe pour un fou et on a du mal à se justifier. Il y a donc bien une première énigme, à titre personnel, d’interrogation sur qui on est, qu’est-ce que l’on fait et qu’est-ce qui nous fait courir. C’est un bienfait en termes de santé, de bien-être psychologique, de réalisation de soi. Et puis c’est une énigme pour les sciences humaines aussi car on trouve peu de consistance très solide dans les explications générales qu’on donne : c’est le culte du corps, de la performance, ce sont des motivations. Ces explications glissent toutes à travers ce phénomène de la course à pied.
Ali RIBEIHI :

  • Antoine LY, vous avez suivi, Thibault De SAINT MAURICE qui s’est lancé comme défi de participer au prochain marathon de Paris.
Antoine LY

  • Le principe de vie de Thibault De SAINT MAURICE, c’est : « Je cours, donc je suis ».
Ali RIBEIHI :

  • Marion GLEMET, vous êtes une joggeuse effrénée, pourquoi est-ce que vous courez, quelles sont vos motivations profondes ?
Marion GLEMET

  • Je cours pour le plaisir, trois à cinq fois par semaine selon le temps et davantage l’été. Je ne cours après rien du tout, pour penser, pour écouter la radio, de la musique, on se retrouve, on est seul, c’est une activité individuelle, c’est un moment pour soi, on se libère.
Ali RIBEIHI :

  • Vous parlez de plaisir mais la douleur est quand même bien présente ?
Marion GLEMET

  • On court, on en a besoin, c’est très mental comme activité.
Ali RIBEIHI :

  • On dit que c’est un accélérateur de réflexion et que ça fait du bien.
Jean-François DORTIER :

  • C’est une façon de se changer les idées, de se vider la tête. C’est effectivement un accélérateur de réflexion, un moment particulier pendant lequel le cerveau se met à fonctionner, à résoudre des problèmes. J’ai écrit en partie mon livre « Après quoi tu cours ? » et mes autres livres, en courant. Il m’est même arrivé d’emmener avec moi un carnet et des notes. Après une matinée à travailler, on se heurte à un problème auquel on n’a pas immédiatement la solution. Aussitôt chaussées les trainings et parti sur la route, on trouve la solution. C’est une sorte d’illumination « Eurêka ». Depuis, j’ai envie de noter et je prends mon portable pour écrire des mémos.
Ali RIBEIHI :

  • On court après soi-même, c’est un moment privilégié pendant lequel on est en accord avec soi, pendant lequel les sens s’aiguisent ; courir est un rituel religieux où on se prépare à quitter le monde profane pour rejoindre le monde du running… c’est mystique !
Jean-François DORTIER :

  • Ça ressemble à une activité shamanique, les shamans se mortifient la chair, s’imposent des épreuves pour atteindre une sorte de nirvana, d’état de conscience particulier, très difficile à expliquer.
Haruki MURAKAMI

  • Ce sont des moments intenses, très forts, indicibles, peu racontables et qui se manifestent au terme d’une souffrance extrême, comme si se rejoignaient les deux extrêmes, l’intense joie et l’intense souffrance.
Ali RIBEIHI :

  • L’humain est-il fait pour courir ?
Jean-François DORTIER :

  • Son mode de vie sédentaire ne correspond pas à son évolution, on ne peut pas rester assis très longtemps, on a besoin de bouger, notre corps est fait pour s’animer, nous sommes des animaux, au sens premier du terme. La course à pied comme d’autres sports permet de pouvoir exercer son corps alors que notre société nous enferme dans des situations d’immobilité.
Ali RIBEIHI :

  • De quand date l’essor de la course à pied ? Doit-on parler de running, de jogging, de footing ? Les termes sont très variés pour évoquer la course à pied ?
Jean-François DORTIER :

  • Il y a plusieurs façons de parler de la course à pied : course à l’épuisement, free runner, futur run, jogging…

  • Le phénomène que l’on appelle aujourd’hui le running et que l’on appelait le jogging dans les années 80, a commencé aux États-Unis dans les années 70, à peu près au même moment en Europe. Il y a trois courants :

    • Les athlètes licenciés d’une fédération qui pratiquent l’athlétisme sur des stades.

    • Les free runners, les vrais coureurs sportifs révolutionnaires qui veulent échapper à institution, c’est le début du sport libre (ski hors-piste, surf… Voir le documentaire « Futur run »).

    • Les joggeurs qui courent pour des raisons de santé. Aux États-Unis, des campagnes sont organisées pour lutter contre les infarctus. A l’époque, dans les années 70, énormément de gens mouraient d’infarctus à quarante ans. C’était devenu un problème de santé publique massif. Les hommes fument et boivent beaucoup d’alcool. Un entraineur, Bill BOWERMAN, cofondateur de la célèbre marque de vêtements et chaussures de sport Nike, a écrit petit livre « Jogging » qui va se vendre à des centaines de milliers d’exemplaires et qui va lancer la mode du jogging aux États-Unis.
Ali RIBEIHI :

  • Un sportif accompli de 32 ans, Grégory, établit une typologie des coureurs :

    • Les supermen (culte de la performance)

    • Les bonnes copines

    • Les mystiques (ultra fondus)

    • Les égarés qui arrêtent très vite
Jean-François DORTIER :

  • Les supermen : jeunes cadres trentenaires, sportifs accomplis, qui ont des activités trépidantes toute la semaine, souvent des triathlètes (nage, course à pied, vélo), dans la recherche de la performance.

  • Les bonnes copines : (qui sont aussi des hommes) ne courent pas seules, se laissent entrainer en groupe.

  • Les mystiques : les fous, les ultras fondus qui recherchent l’absolu.

  • Les égarés : commencent au mois de janvier leurs bonnes résolutions et arrêtent au bout de trois semaines.
Ali RIBEIHI :

  • Dorothé BARBA, vous êtes une fana de running, de course à pied…
Dorothé BARBA :

  • Courir est une manière d’accélérer la réflexion, de tout couper, de ne penser à rien, de regarder les arbres, de penser uniquement au fait que l’on est en train de courir.
Ali RIBEIHI :

  • Est-ce que c’est une drogue ?
Dorothé BARBA :

  • Assez vite quand on arrête, le besoin s’en va, l’accoutumance n’est pas excessive, la sensation manque mais on s’en passe aisément parce que ça reste une souffrance. Ce que j’aime beaucoup dans la course à pied, c’est que ça me rappelle mon enfance. Des jeux avec moi-même, comme fixer des objectifs, de les atteindre ; c’est une fierté assez accessible, assez facile, c’est très ludique finalement la course à pied.
Ali RIBEIHI :

  • Marion GLEMET, vous vous placez dans quelle catégorie ?
Marion GLEMET :

  • Dans aucune des cases. Comme Dorothée, je cours pour le plaisir, par envie, par besoin, c’est plus une drogue qu’un hobby et je ne me sens sportive pour autant.
Ali RIBEIHI :

  • Thibault De SAINT MAURICE, vous vous intéressez à la célèbre marque à la virgule avec son slogan entré dans le langage courant « Just to it »…
Thibault De SAINT MAURICE

[LIST][*]On court par plaisir, par besoin. « Just do it » (vas-y fais-le) c’est le slogan de Nike.

[*]Sartre, philosophe existentialiste, dit « l’homme ne se définit que par ce qu’il fait ». C’est mon action, ce que je fais, les tentatives, les efforts même ratés qui définissent ce que je suis et qui permettent à mon existence de prendre du sens. La seule chose qui compte, c’est d’arrêter de rêver, de théoriser, parce que c’est en faisant, que l’on se fait soi-même et que l’on se libère de tout ce que les autres, de tout ce que la société, de tout ce que l’histoire et les idéologies ont essayé de faire de moi.

[*]C’est une connaissance de soi par l’action, pas par une introspection consciente, par du Descartes « je pense, donc je suis », mais par la confrontation à la réalité de son corps, à la confrontation de ses efforts et de sa performance, c’est une approche pragmatique de soi. C’est une philosophie (Richard ORTY : l’espoir au lieu du savoir).

[*]Nyke propose de troquer la connaissance de nous-même par l’espoir du dépassement de soi. C’est donc le passage à l’acte, l’effort de faire et la mise en mouvement de soi-même qui vont permettre de mieux se connaitre car tout ce que l’on ne fait pas ne permet pas de savoir qui l‘on est.

[*]Faire, c’est forcer, se dépasser, mais ce n’est pas l’alpha et l’oméga de notre vie. Le sport n’est pas réductible à la compétition, à la performance. Il y est aussi question de sensations, de plaisir, de soin de soi.
Ali RIBEIHI :

  • Thibault DE SAINT MAURICE, dans sa théorie de la motivation : "Je cours par instinct (burn to run)"
Jean-François DORTIER :

  • Courir par plaisir, c’est le running high qui survient. À la souffrance se substitue un bien-être corporel, une sorte d’euphorie due à un phénomène d’endomorphine.

  • C’est la notion de « Flow » de Csikszentmihalyi, l’expérience optimale ou autotélique.
Csikszentmihalyi :

  • Dans le souci d'identifier les conditions qui caractérisent les moments décrits par les gens comme étant parmi les meilleurs moments de leur vie, Csikszentmihalyii (1975) a interrogé des alpinistes, des joueurs d’échecs, des compositeurs de musique et bien d’autres personnes qui consacrent beaucoup de temps et d’énergie à des activités pour le simple plaisir de les faire sans recherche de gratifications conventionnelles comme l’argent ou la reconnaissance sociale. Les résultats de ces recherches lui ont permis de définir le concept de l’expérience optimale, qu’il appelle "Flow" (Csikszentmihalyi, 1990), et qui réfère à l’état subjectif de se sentir bien (Csikszentmihalyi & Patton, 1997). Le Flow peut être ressenti dans divers domaines tels l’art, l’enseignement, le sport... Le Flow se manifeste souvent quand il y a perception d’un équilibre entre ses compétences personnelles et la demande de la tâche (Csikszentmihalyi, 1975).
Jean-François DORTIER :

  • On est totalement impliqué dans ce que l’on fait, dans une activité où l’on ne voit pas le temps passer, entièrement plongé dans l’activité, absorbé.

  • C’est un moment de recueillement pour trouver des solutions au travail. C’est un travail de psychologie interne, on se met sur le divan en courant. Parvenir à cet état est important.
Thibault DE SAINT MAURICE :

  • Courir, c’est un défi physique, de volonté, un jeu avec soi-même pour savoir jusqu’où on a la force d’aller. Ça renforce l’estime de soi. La motivation n’est pas esthétique mais éthique, dans le rapport de soi à soi, d’être capable de ne pas subir son propre corps et de l’amener à se dépasser.
Ali RIBEIHI :

  • Un esprit sain dans un corps sain !
Jean-François DORTIER :

  • Écouter une envie, des sensations, un plaisir, plutôt que mener une grande réflexion sur les raisons de courir. C’est un moment où l’on ne pense pas. C’est une façon de se connaitre, c’est une injonction « Connais-toi toi-même à travers la course ». je cours, donc je suis, je me sens exister, c’est quelque chose qui passe beaucoup par la sensation.

  • En course à pied, tout le monde gagne, on construit sa propre échelle de valeurs, ses propres défis. On touche à un ingrédient très fort dans la motivation humaine, c’est le besoin de se réaliser, pas simplement par un pur plaisir de consommation, passif, mais quelque chose comme un sudoku, des mots croisés. On construit quelque chose : « sheeman » en terme anglo-saxon. À l’inverse du flow, le corps fait quelque chose mais l’esprit est ailleurs. En psychologie positive, le flow (littéralement flux en anglais), ou la zone, est un état mental atteint par une personne lorsqu'elle est complètement plongée dans une activité, et se trouve dans un état maximal de concentration, de plein engagement et de satisfaction dans son accomplissement. Fondamentalement, le flow se caractérise par l'absorption totale d'une personne dans son occupation.

  • On coure par besoin de se défouler, pour affronter des défis. C’est un lien entre l’essor des sports et la montée du stress dans la société. C’est aussi un besoin d’arrêter la performance ; c’est une façon d’enlever son uniforme social, le souci de la famille, du travail ; c’est une récréation ; c’est un antistress très, très fort ; on retrouve des plaisirs de l’enfance, des plaisirs corporels, de se retrouver en short et de pouvoir patauger dans la boue.

  • Conditionné, on s’impose un rituel. Un rituel, ce sont des heures que l‘on se donne pour aller courir ; une habitude, c’est quelque chose de machinal ; un rituel n’est pas une activité routinière comme on se brosse les dents.

  • Selon la psychologie comportementale, l’amour de la course s’installe avec l’habitude.

  • Par influence, c’est une interaction entre individus.

  • Les grandes influences sociales, les injonctions au bien-être, à être performant, en bonne santé, marchent assez mal. Le sport, la course à pied s’est développée essentiellement par capillarité, par le bas, par des contacts avec des amis, avec des personnes qui s’entrainent. Souvent, ce ne sont pas des grandes forces sociales qui viendraient du haut mais plus souvent des interactions entre individus qui ont poussé à ce phénomène.
Un témoignage :

  • Courir, c’est un lien avec ma jeunesse passée, je coure pour ma santé, pour rendre visite à tous les arbres du parc.
Jean-François DORTIER :

  • On peut ne pas courir par défi mais par plaisir, par nécessité, quel que soit le temps, sous la pluie, la neige, dans le froid.

  • Les besoins humains se construisent par étage successifs.

  • Abraham MASLOW, psychologue américain, mort en 1970 en faisant son jogging, explique la motivation par la hiérarchie des besoins, souvent représentée sous la forme d'une pyramide.

  • En tant qu’animal, nous avons besoin de manger, de boire. En tant qu’humain, nous avons des besoins sociaux, d’être au contact siens. Petit à petit, on grimpe l’échelle jusqu’à arriver au sommet qui est la réalisation de soi.

  • Un musicien a besoin de faire de la musique, un poète a besoin de faire de la poésie.

  • La course à pied semble prendre l’inverse de la pyramide de MASLOW. On réprime ses besoins élémentaires, le confort physique pour aller au-delà de soi. La course à pied contribue à la réalisation de soi, apporte un équilibre ; c’est comme manger, c’est vital.
Grand bien vous fasse !


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Mis à jour 23/02/2024 à 13h08 par APL-AML

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