Européennes : ce que proposent les principaux partis pour le numérique
mais avant, quel est le bilan du mandat 2014-2019 ?
Nous sommes à la veille des élections pour le renouvellement des sièges de l'hémicycle européen. La France a droit à 79 sièges et les listes sont déjà constituées avec des programmes plus ou moins vastes. Dans un monde où le monde numérique ne peut être dissocié du monde réel, les principaux partis, à part le Rassemblement national, ont pris soin d'intégrer un volet numérique dans leurs programmes. Mais avant, qu'est-ce que le Parlement européen a fait pour l'Europe durant le mandat 2014-2019 ? C'est à cette question qu'a essayé de répondre le Service de recherche du Parlement dans une série de documents sur 23 thèmes, y compris la transformation numérique.
Le Parlement européen fait son bilan : ce qu'il a fait dans le numérique
Depuis la mi-2015 en particulier, c’est-à-dire depuis que la stratégie pour un marché unique numérique a été proposée pour la première fois, un certain nombre de résultats ont été obtenus pour différentes politiques numériques concernant l’industrie et les citoyens. Le Service de recherche du Parlement évoque entre autres :
- la création d'un nouveau Fonds pour la connectivité à haut débit : ce fonds aide les investisseurs privés à réunir leurs efforts en soutien aux infrastructures de réseau numérique dans les zones mal desservies et accorde jusqu’à 1,7 milliard d’euros d’investissements supplémentaires d’ici 2021. La mise en œuvre de la nouvelle initiative « Wi-Fi pour l’Europe » ou WiFi4EU soutient en outre la gratuité de l’accès à l’internet dans les collectivités locales. Cela permettrait à plus de 8000 collectivités locales de bénéficier d’un financement total de 120 millions d’euros jusqu’en 2020 ;
- la suppression des frais d’itinérance : depuis juin 2017, en grande partie grâce aux pressions exercées par le Parlement européen, les citoyens peuvent désormais utiliser leur téléphone portable lorsqu’ils voyagent dans l’Union européenne comme s’ils se trouvaient dans leur propre pays, sans payer de frais supplémentaires. Depuis, les citoyens ont davantage utilisé leur téléphone à l’étranger, car dans l’ensemble de l’Union, le volume de données consommées a été multiplié par plus de cinq et le nombre d’appels téléphoniques par près de deux et demi ;
- l’internet ouvert : avec les règles sur la neutralité de l’internet en vigueur depuis le printemps 2016, chaque citoyen européen a accès à l’internet ouvert, ce qui garantit le libre choix, exempt de toute discrimination, du contenu et des services ;
- la libre circulation des données à caractère non personnel : grâce à une nouvelle législation de l’Union adoptée en novembre 2018, tous les participants auront accès dans l’Union à des services de stockage et de traitement des données de meilleure qualité et plus concurrentiels, complétant ainsi la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux ;
- la protection des données à caractère personnel : en vertu des nouvelles règles de protection des données, mises en place dans l’ensemble de l’Union depuis le 25 mai 2018 (RGPD), les Européens peuvent en toute sécurité transférer des données personnelles entre des fournisseurs de services en ligne et ont le droit de connaître la manière dont sont collectées leurs données à caractère personnel. Par ailleurs, en vertu du « droit à l’oubli », les données à caractère personnel doivent être effacées sur demande s’il n’existe aucune raison légitime pour qu’une entreprise les conserve ;
- la fin du blocage géographique : depuis le 3 décembre 2018, les Européens peuvent faire des achats en ligne sans se préoccuper du blocage géographique, car les sites internet ne peuvent plus les bloquer ou les renvoyer vers un autre site simplement parce qu’ils se trouvent dans un autre pays de l’Union. Toutefois, cette interdiction ne s’applique pas, dans un premier temps, à des contenus et à des services protégés au titre du droit d’auteur (par exemple les livres électroniques et le téléchargement de musique et de contenu audiovisuel). Mais devant l’insistance du Parlement, une clause de réexamen a été introduite dans la législation, qui invite la Commission à se pencher de nouveau sur la situation au bout de deux ans.
Maintenant, ce que proposent les principales listes pour le numérique
Europe Écologie : mettre le numérique au service des libertés
Menée par Yannick Jadot, cette liste a beaucoup développé les questions numériques. Elle veut que l’Europe investisse « dans le déploiement du haut débit sur l’ensemble du territoire », afin de réduire la fracture numérique tout en « promouvant et facilitant le recours et le développement de fournisseurs d’accès alternatifs ». Europe Écologie plaide encore en faveur d’une protection du droit à l’anonymat, en garantissant l’usage des pseudos qui permettent « aux personnes victimes de discriminations et aux lanceurs d’alerte de s’exprimer en toute liberté ». Elle souhaite aussi « inciter et favoriser le chiffrement de bout en bout ». Europe Écologie se fait aussi partisan de la taxation des GAFAM et appelle à « contraindre aux standards ouverts pour obliger à une interopérabilité des services et permettre une vraie portabilité des données et des réseaux sociaux ».
La liste de Yannick Jadot veut en outre s’attaquer aux « monopoles techniques » des grands éditeurs de logiciels tels que Microsoft, SAP ou Oracle en favorisant « le développement d’alternatives libres de droits ». Elle souhaite également lancer « un plan de lutte contre l’obsolescence programmée », que ce soit « l’obsolescence matérielle » ou « l’obsolescence logicielle ». Cette liste propose encore dans son programme une série de mesures visant à « réduire l’impact environnemental du numérique » : « optimiser la répartition des datacenters et du transport de données », « interdire l’obsolescence programmée et limiter les besoins matériels », « investir dans le réemploi et le recyclage des matériaux hors d’usage » ou encore « développer les réseaux électriques intelligents ».
Europe Écologie propose d'autres mesures visant à renforcer la cybersécurité et à mieux protéger les internautes. Par exemple, la « surveillance policière généralisée » ainsi que « l’usage d’outils automatisés puisant dans les banques de données civiles ou privées » seraient interdits. La liste de Yannick Jadot souhaite également « instaurer des traités internationaux pour l’interdiction des pratiques d’espionnage numérique et lutter contre le recours aux services de sécurité de sociétés privées », mais aussi interdire les « drones tueurs ».
Europe des gens (PCF) : 26 propositions pour une Europe du numérique humaine et indépendante
Menée par le candidat PCF Ian Brossat, cette liste promet « une Europe du numérique humaine, indépendante, et libérée du monopole des GAFAM ». Pour ce faire, Europe des gens propose notamment de taxer les GAFAM « et les NATU (Netflix, AirBnB, Tesla, Uber), toutes les grandes plateformes internet centralisées par une contribution sur leurs profits, au prorata des flux et des clics générés dans chaque État membre ». La liste suggère aussi de créer une nouvelle taxe écologique sur « les datacenters » calculée « à proportion de leur contribution au réchauffement climatique ».
Outre le volet fiscalité, la liste d'Ian Brossat veut s’attaquer aux pratiques salariales des géants du Net en luttant « contre l’ubérisation ». Son programme propose ainsi « la requalification en contrat de travail salarié de tous les travailleurs étant en situation de subordination vis-à-vis d’une plateforme numérique ».
Au niveau des libertés numériques, Europe des gens s'engage aussi à garantir « la pérennité de la neutralité de l’internet au niveau communautaire » ou encore à « faire de l’usage prioritaire des logiciels libres une des clauses d’obtention des fonds européens ». « Afin de créer un modèle alternatif aux GAFAM », la liste Europe des gens souhaite encore « créer un fonds et une agence européenne pour favoriser la naissance d’un internet décentralisé, basé sur une architecture "pair-à-pair", avec une gouvernance de Commun ». Elle souhaite également l’« abrogation des directives liberticides mettant en cause la liberté d’expression et de la presse sur internet » ainsi que l’« arrêt de tous les projets à l’image d’Indect visant à installer en Europe une société de surveillance de masse ». Précisons qu'Indect est un projet financé par l’UE visant à développer dans les villes européennes des systèmes de surveillance dits « intelligents ».
Vive l’Europe libre : 21 engagements pour une Europe libre
La liste Vive l’Europe du parti Génération.s, menée par Benoît Hamon, réclame la mise en place d’une « taxe robot ». « Là où des intelligences artificielles et les robots remplacent des êtres humains, il doit y avoir une compensation... Les entreprises doivent contribuer pour financer la protection sociale demain », dit-elle. Pour cela, « nous mettrons en place une fiscalité européenne sur le travail des robots et des algorithmes pour les entreprises qui remplacent les humains par des machines ».
Précisons que le groupe de Benoît Hamon est membre de la coalition européenne Printemps européen, dont le programme intitulé « Un New Deal pour l’Europe » s'attarde un peu sur les questions numériques. Il propose par exemple de créer un Réseau de données européen autonome (RDEA). Celui-ci consisterait en « un réseau décentralisé, anonyme et chiffré de dispositifs qui protège nos données et empêche toute surveillance. Tous les services publics devraient reposer sur le RDEA, et tous les citoyens devraient se voir octroyer une Identité Numérique Citoyenne qui leur permette d’accéder aux sites web gouvernementaux et de participer à des forums publics – homologués, mais anonymes ».
Concernant les grandes plateformes du Web, le Printemps européen souhaite la portabilité des données, c’est-à-dire la possibilité pour un utilisateur de récupérer ses données hébergées par un service pour les transférer à un autre. Pour cela, il propose d’imposer « des normes ouvertes obligatoires » qui permettront de changer facilement de plateforme sans perdre ses données. « En permettant aux utilisateurs de migrer hors de ces plateformes, nous réduirons le monopole du contrôle par les grandes plateformes technologiques et encouragerons de nouvelles entreprises numériques », disent-ils.
Afin de favoriser une « gouvernance libre et ouverte », le Printemps européen veut également imposer la transparence aux administrations : « Nous appelons à l’introduction de logiciels libres et ouverts à tous les niveaux de l’administration publique et des institutions financées publiquement. Et nous demandons que tous les dossiers soient numérisés et publiés dans une base de données libre en ligne. »
Envie d’Europe
Cette liste, menée par Raphaël Glucksmann pour Place publique et le Parti socialiste, veut ouvrir le débat sur le démantèlement des GAFAM. Envie d'Europe estime en effet que « ce débat existe aux États-Unis, il serait paradoxal que les Européens se l’interdisent ». Elle propose aussi de renforcer la législation européenne sur le travail « afin de réglementer les nouvelles formes de travail qui se développent dans le secteur de l’économie numérique », ainsi qu’une réforme fiscale pour que « les GAFAM et les grandes multinationales paient leur juste part d’impôt au même titre que les PME ».
Dans son programme, Envie d’Europe remet en cause l’usage fait des données personnelles par les « multinationales américaines », et exprime sa préoccupation par les « services de renseignement extérieurs à l’Union européenne, notamment lorsqu’ils cherchent à influencer les habitudes de consommation ou à interférer dans les processus démocratiques ». La liste de Raphaël Glucksmann prévient aussi qu’elle sera vigilante « quant à la mise en œuvre du règlement général de protection des données dans les États membres ». Aussi, propose-t-elle de consolider la cyberdéfense européenne « en renforçant les axes de recherche chargés de relever les défis de la révolution numérique en matière de défense » au sein de l’Agence européenne de défense. Elle compte également militer pour une « révision du droit international en matière de conflits afin d’y encadrer les nouvelles formes de menaces à l’ère des cybermenaces et de l’intelligence artificielle ».
La France insoumise
La liste France insoumise veut quant à elle « promouvoir une économie numérique coopérative écartant l’ubérisation », mais propose aussi de taxer les GAFAM. Elle souhaite « une modification des règles de la fiscalité du numérique et faire appliquer aux GAFAM l’impôt sur les sociétés sur la base d’une ventilation par pays de leurs bénéfices mondiaux pour en finir avec l’évasion fiscale ». Toujours dans le cadre de la lutte contre les GAFAM et l’exploitation que ceux-ci font de nos données personnelles, La France insoumise veut « interdire l’export hors de l’UE des données personnelles collectées dans l’UE ».
Les Républicains et centristes
La taxation des GAFAM est vraiment la principale préoccupation des listes pour les européennes. Comme les autres groupes, les Républicains et centristes proposent la mise en place « une taxe d’égalisation des géants extra-européens du numérique […] pour financer l’investissement public européen dans la recherche et l’innovation, notamment dans l’intelligence artificielle ». Elle voudrait également inscrire le numérique sur « une liste de secteurs stratégiques […] dérogatoire des règles de la concurrence européenne, pour permettre l’émergence de leaders continentaux performants à l’échelle mondiale ».
La Renaissance
La liste Renaissance, menée par la LREM Nathalie Loiseau, promet aussi de « taxer les géants du numérique en Europe comme nous le faisons en France ». Elle propose en outre de « créer un statut propre aux géants du numérique pour sanctionner rapidement toute atteinte à la concurrence, permettre l’ouverture des données et la transparence des algorithmes ». Elle souhaite également renforcer la lutte contre les propos haineux en obligeant « les plateformes numériques et les réseaux sociaux à retirer tout contenu terroriste, pédopornographique, et de haine raciste et antisémite ». En ce qui concerne la cyberdéfense, la liste Renaissance veut « créer un cyber-bouclier européen, avec une cyber-police contre la criminalité sur internet et un soutien mutuel entre États en cas d’attaque informatique ».
Parti Pirate
Si elle n'est pas parmi les favoris dans les intentions de vote, la liste Parti Pirate présente un bon programme pour le numérique. Ils se sont donné comme mission de défendre les droits de l'Homme à l'ère du numérique. Les pirates soutiennent par exemple que « tous les individus ont un droit à la vie privée. Ce droit inclut le droit à la discrétion et le droit d’être anonyme », en insistant sur le fait que « l’anonymat ne dispense aucune personne d’assumer la responsabilité de ses actes ». Ils s'insurgent aussi contre « les mesures de surveillance excessives et illicites, qui nous sont imposées par les gouvernements étrangers et nationaux, que ce soit en réponse au terrorisme ou à d'autres types de crime. »
Pour protéger les droits et libertés des Européens et pour assurer l'efficacité de l'application de la loi, « les pirates demandent que la collecte et la surveillance des données soient limitées aux personnes qui sont suspectées d'avoir commis ou en train de préparer un crime et que cela nécessite une approbation et une surveillance judiciaires. » Dans la même logique, « les pirates souhaitent abolir la pratique routinière, automatisée et non ciblée de collecte, de stockage et de traitement des données. » Ils rejettent « la collecte systématique et aveugle de données de communications (conservation de données), de données itinérantes (données des dossiers passagers) et des données biométriques » et « s'opposent au profilage automatisé des personnes pour les diviser en catégories à risque (profilage) aux frontières (système entrée/sortie) ».
Ils demandent encore le contrôle des exportations des technologies de surveillance et de censure : « Nous nous battrons pour préserver la vie privée des journalistes, des activistes et des citoyens du monde entier en soutenant les lois empêchant les régimes oppressifs d'acquérir de telles technologies et services auprès de toute entité de l'Union européenne », disent-ils.
Les pirates soutiennent aussi la promotion de logiciels libres et s'engagent à combattre pour que les logiciels, formats et protocoles libres soient utilisés dans l’administration publique. « Les données des citoyens doivent être traitées, gérées et sécurisées avec des logiciels libres chaque fois que cela est possible. Les logiciels propriétaires ne peuvent être utilisés que tant que les logiciels libres ne peuvent pas être utilisés ou créés de manière efficace à cette fin spécifique », disent-ils, estimant que le « logiciel libre réduit les coûts administratifs, favorise le support technique local et augmente la capacité d'identifier le code malveillant ». « Nous dirigerons la migration du secteur public vers le logiciel libre afin qu'il ne soit plus dépendant de fournisseurs spécifiques. Les citoyens et les entreprises ne doivent pas être obligés d'utiliser des logiciels propriétaires lorsqu'ils traitent avec l'administration publique. La communication en ligne avec le gouvernement doit être basée sur des protocoles et des formats libres et indépendants du fournisseur. » Sans surprise, leur programme met aussi en avant l'open data et la liberté d'expression en ligne.
Sources : Bilan du Parlement européen (dans le numérique, pour l'ensemble des domaines), Europe Écologie, Europe des gens (PCF), Vive l’Europe libre, Envie d’Europe, La France insoumise, Les Républicains et centristes, La Renaissance, Parti Pirate
Et vous ?
Que pensez-vous du bilan du Parlement européen durant les 5 dernières années ? Le trouvez-vous positif ou négatif ?
Quels programmes trouvez-vous les plus pertinents et réalistes pour le numérique parmi ceux proposés par les différentes listes ?
Quelles insuffisances présente chaque programme ?
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