[Actualité] Les femmes et le jerry
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, 26/04/2017 à 12h13 (1342 Affichages)
Dans leur infinie sagesse dotée d’une inspiration divine, les anciens avaient bien raison de nous dire que “l’union fait la force” et qu’ “une seule main n’attache pas un paquet”. Ces deux dictons qui ont trouvé leur place et leur accomplissement depuis une année dans la plus grande commune d’Abidjan dénommée Yopougon, lieu où de jeunes et dynamiques ivoiriens ayant compris le sens et la valeur du travail en équipe ont décidé de répondre à l’appel de la Nation, au cri de détresse de la jeunesse en disant “Ayiyikoh” ! (Mettons-nous ensemble !) pour le développement de leur commune, de leur pays et pour un meilleur rayonnement de l’Afrique aux quatre coins du monde.
Ayiyikoh Business Incubator se veut être une plateforme d’entraide et de solidarité entre jeunes entrepreneurs de divers horizons et des développeurs dans le domaine des nouvelles technologies, mais aussi pour des personnes sans emplois afin de susciter en ces derniers des vocations et leur faire miroiter des perspectives d’avenir. Le désir profond d’entreprendre et de partager leurs connaissances a poussé les jeunes de l’incubateur et le FabLab Ayiyikoh à penser un projet qui leur permettrait non seulement d’assurer une petite stabilité économique pour la survie du FabLab, mais aussi et surtout d’initier les jeunes et les moins jeunes à l’outil informatique en leur apprenant toutes les opportunités que peut leur offrir internet. Un projet très louable qui touche en même temps le domaine social, de l’éducation, de l’économie et même de l’écologie car ces jeunes ayant à cœur leur planète ont décidé d’utiliser du matériel informatique de récupération et un système d’exploitation utilisant des logiciels libres pour la réalisation du projet qu’ils ont effectivement mis sur pied le 10 Octobre 2015 et qu’ils ont nommé Jerry Cyber.
Ainsi, depuis plus de deux mois, malgré les problèmes liés au difficile accès à internet, l’espace réduit et le manque de moniteurs pour les Jerry, les jeunes de Ayiyikoh font tourner leur cyber dont les Jerry fonctionnent tous avec la distribution GNU/Linux Emmabuntüs. Quoi de plus normal ? Les Jerry étant conçus avec du matériel de récupération recyclé et Emmabuntüs ayant été mis sur pied dans le but de reconditionner les ordinateurs et contenant déjà des logiciels éducatifs (l’éducation étant l’une des raisons d’être du projet), “il était donc ce qu’il nous fallait !”, nous dit avec détermination l’un des jeunes travaillant sur le projet, en évoquant aussi les difficultés qu’ils ont dans l’installation de la distribution car le matériel est peu performant. Ils sont obligés de faire une première installation dans un ordinateur plus performant et d’installer ensuite le disque dur dans le Jerry. Puis, les barrettes de RAM, disques durs et lecteurs CD qu’il faut tester car parfois ils ne fonctionnent pas. Et la jeune Agathe conclut en exhortant vivement le monde entier à utiliser le système Emmabuntüs : "Emmabuntüs est un système libre, fait pour reconditionner les vieux ordinateurs. Il fonctionne sur plusieurs architectures c’est-à-dire la configuration au niveau du matériel. Il faut dire qu’Emmabuntüs n’a pas de limite en tant que tel, il n’est pas sensible au virus, mais le problème est que bon nombre de personnes ne le connaissent pas bien."
Ce projet a été réalisé par de jeunes hommes, mais aussi de jeunes femmes ! Oui, des femmes ! Ce qui a toujours été qualifié de “truc de garçon” est aujourd’hui de plus en plus prisé par la gente féminine et ce ne sont pas Agathe, Bachabi et leurs autres copines qui nous démentiront. Ces “go infrarouges” (1) ont participé à toutes les étapes de la fabrication des Jerry, de la découpe du bidon (Jerrycan), à la couture du collier en passant par le montage des composants, et ont ainsi réussi à prouver que les filles en Côte d’Ivoire ne sont pas bonnes qu’à porter des vêtements “chéri regarde mon dos”, mais qu’elles sont capables de bien plus, qu’elles disposent de talents et d’aptitudes qu’elles ont bien voulu exposer aux yeux du monde, faisant preuve d’une telle curiosité qui les pousseraient à prendre une échelle pour aller voir dans le Ciel, si elles se doutaient qu’il y avait quelque chose de curieux là-haut.
Lorsque la question a été posée aux filles sur leurs sources de motivation, certaines ont effectivement parlé de passion, de curiosité, de domaine de compétence, mais d’autres comme Agathe sont allées bien plus loin en disant : “Personnellement c’est le film Jack Bauer (2) qui m’a poussée à aimer l’informatique. Lorsque j’ai vu Chloé manipuler l’outil informatique, j’ai voulu devenir comme elle et donc après mon baccalauréat, je me suis inscrite dans une filière informatique”. Il est important de préciser qu’il y en a parmi elles qui n’avaient aucune notion de base en électronique/informatique ! Mais parce qu’elles ont compris que celui qui va au puits ne meurt pas de soif, parce qu’elles ont remarqué que ce n’est plus le diplôme qui ouvre les portes de l’emploi mais l’expérience, parce qu’elles ont eu cette volonté de participer à la vie de leur commune, elles se sont joint à leurs confrères du sexe opposé, faisant fi des considérations qui ont toujours voulu dédier ce métier aux hommes. A travers leur participation active à la mise sur pied du Jerry Cyber, elles ont pu démentir le papa de Aya (3) qui disait à cette dernière que : “les longues études coûtent cher et sont faites pour les hommes. Tu trouveras un mari qui s’occupera de toi”. Que non ! la femme ! Au-delà de son rôle de nourricière de la Nation (67% des femmes travaillent dans l’agriculture qui constitue la base essentielle de l’économie ivoirienne) (4), se doit de s’impliquer davantage dans tous les secteurs d’activités pour une meilleure croissance et un développement (même numérique) plus actif car que ce soit sur le plan professionnel ou familial, l’homme sans la femme est comme un téléphone sans batterie, comme Abidjan sans Ayiyikoh, comme un Jerry sans carte mère, comme Emmabuntüs sans logiciel libre… Bref, la femme est bien la ceinture qui tient le pantalon de l’homme.
Cet article a été écrit par Francine et relu par David, Patrick et Yves, du Collectif et publié sur le blog d'Emmabuntüs le 3 Janvier 2016, sous CC-BY-SA.
Traduction anglaise assurée par Yves du Collectif le 9 Juin 2016.
Notes :
(1). Filles curieuses. Le terme "go" est un argot utilisé dans plusieurs pays d’Afrique (notamment au Cameroun où on parle de "camfranglais") pour désigner la jeune fille
(2). Voir le film 24 HEURES CHRONOS, avec Kiefer Sutherland
(3). Voir le dessin animé AYA DE YOPOUGON
(4). Source: www.genreenaction.net