Avant toute chose, je tiens à faire une précision indispensable: la distinction que j’effectue entre égoïsme et individualisme (je ne parlerai pas de l’égotisme qui est un terme de psychologie et n’a rien à voir avec la choucroute).
Individualisme:
Ici, ce mot sera utilisé dans le même sens que la première définition du Larousse en ligne: Doctrine qui fait de l’individu le fondement de la société et des valeurs morales.
Pour être un peu plus précis, l’individualisme était, au départ, une composante de la philosophie Epicurienne. En gros, le plus important c’est l’individu, donc chacun doit profiter de la vie (carpe diem). Si l’on en reste à cette définition, alors je me considère sans honte aucune comme individualiste.
Egoïsme:
Définition du Larousse en ligne: Attachement excessif porté à soi-même et à ses intérêts, au mépris des intérêts des autres.
Nous voyons clairement l’aspect négatif (ne serait-ce que dans les mots employés: excessif, mépris) de ce mot. Et pourtant, dans le langage moderne (cette espèce de bouillie informe dont nous bombardent les médias et les communiquants de tout poils), ces deux mots ont tendance à prendre le même sens.
L’égoïsme grégaire
Cette réflexion m’est venue en lisant cet article du monde diplomatique de Dany-Robert Dufour. Je suis globalement d’accord avec l’analyse de son auteur, à ceci près qu’il utilise le terme d’individualisme grégaire. Pour ma part, je crois que égoïsme grégaire serait plus juste. Car en effet, le mot ‘individualisme’ peut être compris de différentes façons, et beaucoup de ses définitions ne correspondent pas avec la description que donne l’auteur de ce concept.
Car effectivement, la grande majorité de la population des pays dits « riches » se comportent ainsi. Nous nous donnons l’illusion d’être libre et différents les uns des autres, mais en fait nous suivons tous aveuglément le berger. Le berger, est, dans ce cas, difficile à cerner. Ce n’est pas une personne à proprement parler, ni même un ensemble de personnes, mais un système. C’est l’ensemble des structures de contrôles qu’utilisent les élites pour nous faire faire ce qu’ils veulent. Cet ensemble va de la publicité, au modèle de propagande, en passant par la « communication » des entreprises et des états (qui est n’est en fait rien d’autre que de la propagande), etc.
C’est ainsi que je me surprends souvent à comparer, avec une amertume particulièrement désagréable, le peuple avec un troupeau de moutons. Chaque mouton se croyant libre car chacun a le droit de bêler différemment que son voisin (beaucoup ne le font même pas mais ils se croient libre car ils savent qu’ils ont le droit de le faire; cette remarque pointe sur la différence entre un droit écrit et un droit de fait), mais chacun acceptant de se faire tondre régulièrement et de finir à l’abattoir.
La révolution dans mon jardin
De nos jours, il est courant d’entendre ce type de raisonnement: « nous sommes en train de détruire la planète, des millions de gens meurent de faim dans monde, etc…, et tout ça c’est notre faute, à tous, à chacun d’entre nous. La seule façon de changer les choses est de changer tous, chacun d’entre nous, de façon individuelle mais coordonnée. »
Bien que je comprends très bien le raisonnement qui amène à ce genre de discours je n’y adhère pas. Mais j’y reviendrai; je vais d’abord expliquer pourquoi ce discours paraît tant légitime, logique et juste. J’expliquerai ensuite pourquoi il ne fonctionne pas, et pourquoi il est dangereux (parfois les meilleures intentions engendrent les pires désastres).
Ce type de raisonnement est assez typique de certains courants de la pensée anarchiste. Je dirais tous sauf les courants fédéralistes. Il consiste à dire que pour faire changer le monde, il faut commencer par changer notre propre microcosme, à l’échelle de l’individu, et qu’ainsi la somme de ces petits changements feront un gros changement. Ainsi donc, en modificant nos façons de consommer, de gérer nos déchets, de nous nourrir, etc… on fait un peu changer le monde et si tout le monde le fait on fera beaucoup changer le monde. Ce raisonnement parait tenir parfaitement la route. Il est simple, accessible à tout le monde (dans les fait je veux dire: tout le monde peu commencer à changer un peu son comportement dès aujourd’hui), et effectivement, si tout le monde le fait, ça peut marcher.
Egalement, c’est un raisonnement qui a été intégré dans la propagande des entreprises et des partis politique. Ici un vendeur de voiture qui ventent les mérites de son 4×4 qui pollue moins que les autres, là un parti – qui finance les industries les plus polluantes avec un népotisme aussi assumé qu’effarant – qui fait de la « sensibilisation » sur les moyens d’économiser quotidiennement de l’énergie… bref, on nous explique bien que c’est à nous de faire changer les choses. Depuis que le capitalisme reigne en maître incontestable, épaulé par cet étrange libéralisme auequel je ne parviens pas à donner de nom, cette propagande est constante, car elle arrange totalement les élites. Elle leur permet de transférer les problèmes sur les citoyens et de s’en laver les mains (alors que leur discours dit l’inverse, à savoir: « votez pour nous on s’occupe de nous, on a la réponse magique à tous les problèmes du monde entier »), de la même façon que les entreprises engrangent les bénéfices quand tout va bien et reçoivent des milliards d’euros des états (nos euros) quand ça va mal (privatisation des bénéfices et socialisation des risques. Cette ritournelle bien connue définit bien un aspect de cette forme de libéralisme que je ne parviens pas à nommer, à savoir: on est libéral quand ça nous arrange, et envers qui ça nous arrange).
Oui mais, ça peut marcher si tout le monde le fait. Et c’est bien là que, à mon avis ça coince, et ça coince sévère. Déjà, si tout le monde le fait… ok, mais si tout le monde fait quoi? Chaque individu est différent, comment se mettre d’accord pour trouver un objectif commun, et surtout se mettre d’accord sur les moyens à prendre pour y arriver? Ensuite, faire réagir tout le monde me parait de plus en plus illusoire. Enfin, s’il ne s’agit pas de la finale de la coupe du monde de football… je crois qu’aujourd’hui, le contrôle des élites sur le peuple est bien trop puissant pour qu’il soit possible de faire réagir tout le monde. Pourquoi les élites dépensent tant d’argent à nous divertir? Pourquoi des gens comme Lagardère et Dassaut dépensent des millions (sans ROI, donc c’est de l’argent dépensé, en perte directe) dans des médias. Les gratuits sont un très bon exemple. Ils coûtent très cher à leurs propriétaires, et sans aucun espoir de rentabilité. La rentabilité n’est donc pas le but des gratuits, mais c’est bel et bien la propagande. De même que des chaînes dites d’information continue, comme LCI (groupe Bouygues), I-Télé (groupe canal+) ou BFM TV. Et si ces gens sont prêts à dépenser des millions là-dedans, sans espoir d’en gagner, c’est que ça doit bien fonctionner. Et effectivement, je crois que ça fonctionne très bien. Mais cet exemple n’est qu’un arbre dans la forêt.
Donc pour résumer mon sentiment, je crois que nous avons face à nous une minorité d’élites, qui contrôlent parfaitement, au-delà de ce que l’on peut s’imaginer, une masse énorme d’êtres humains rendus égoïstes et grégaires, et que la seule façon de faire changer les choses est d’agir sur cette masse. Je ne crois pas en « la révolution je la fais dans mon jardin ».
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