Quelles sont les limites de la liberté d'expression sur les réseaux sociaux ?
La Cour Suprême américaine va déterminer si proférer des menaces sur Facebook est punissable
La Cour Suprême des États-Unis a décidé de se pencher sérieusement sur la question de la liberté d’expression sur Internet. Au centre des débats qui auront lieu lundi, elle veut déterminer par exemple si les menaces de mort proférées sur les réseaux sociaux comme Facebook sont porteuses d’une véritable intention de nuire ou alors doivent être protégées par le premier amendement de la Constitution.
Ce sera la première fois que les neuf juges de la haute cour, dont aucun ne semble avoir de compte Facebook, vont examiner les limites des protections du premier amendement sur la liberté d'expression sur les médias sociaux.
L'affaire débute avec Anthony Elonis, un passionné de la musique rap qui a posté des paroles de colère sur sa page Facebook à l’intention de sa femme après qu'elle l'ait quitté, emmenant avec elle leurs deux enfants : « il y a une manière de t'aimer, mais des milliers de te tuer. Je n'aurai pas de repos, tant que ton corps ne sera pas en morceaux, baignant dans le sang, de ses plaies agonisant. Dépêche-toi, crève, salope ! » écrivait-il alors sur son compte suite à une séparation qui intervient après sept ans de mariage.
Sa femme a alors avoué à la police qu’elle était « extrêmement effrayée » et a pu obtenir une ordonnance de restriction interdisant à Elonis de s’approcher d’elle. Mais ce geste n’a fait que l’enrager encore plus. « Plie ton PFA (ordonnance restrictive) et garde-le dans ta poche. Est-il assez épais pour arrêter une balle ? » a-t-il écrit sur Facebook six mois après leur séparation.
Son langage abusif qui s’est tenu longtemps après que son mariage soit brisé lui a valu la visite d’un agent du FBI. Il a répondu à toutes les questions et à poliment demandé s'il était libre de partir, chose qui lui a été confirmé et il a raccompagné l'agent à la porte. Peu de temps après, il a posté sur son Facebook « tu sais tu es ridicule. Quand tu as le FBI qui cogne à ta porte. La petite agent se tenait si près. J'ai dû prendre sur moi pour ne pas transformer cette salope en fantôme. J'aurais pris mon couteau, fait glisser mon poignet et fendu sa gorge. Je l'aurais laissé saigné dans les bras de son partenaire ». Par la suite, il a menacé un parc d’attractions dont il a été éconduit et a commencé à poster des prises de vue d’école à proximité. Il a dit qu’il y avait « assez d’écoles élémentaires dans un rayon de 10 km pour lancer l’école de tir la plus odieuse jamais imaginée ».
Il s’est même laissé aller à une petite réflexion : « Saviez-vous qu’il m’est interdit de dire que je veux tuer ma femme? C'est illégal. C'est un outrage criminel indirect. (...), Mais je ne le dis pas effectivement. Je vous fais juste savoir que c'est illégal pour moi de le dire. C'est comme un service public que je vous rends »
Arrêté et inculpé pour profération de menaces sur des commerces interétatiques ou sur internet, Anthony Elonis a prétendu lors de son audience que ses messages n'avaient qu'une vertu « thérapeutique », sans jamais la moindre « intention » de tuer, et qu'ils ne sauraient donc constituer « une vraie menace ». Mais un jury n’était pas d'accord ; en première instance, Elonis a été condamné à trois ans et demi (44 mois) de prison et trois ans de liberté surveillée. Une cour d'appel a confirmé la condamnation plus tard.
Ce cas pourra avoir des répercussions sur des propos menaçants ou des harcèlements sur Internet et comment le premier amendement, qui protège la liberté d’expression, s’appliquera dans le domaine des médias sociaux.
Le gouvernement a rappelé que la loi interdit « les menaces réelles, définies comme des déclarations qu'une personne raisonnable peut interpréter comme l'expression sérieuse d'une intention de nuire ». Dans l’argumentaire devant la Haute Cour, le gouvernement a avancé « qu’une menace d'attentat à la bombe, qui semble sérieuse, est nuisible, quel que soit l'état d'esprit de celui qui la profère », réclamant la condamnation d’Anthony Elonis.
Cependant, Elonis soutient que sa condamnation aurait un impact sur de nombreux artistes, y compris des chanteurs, écrivains et dessinateurs, qui s’expriment de façon créative.
La Cour Suprême devra donc définir si les propos tenus par Elonis constituent une « menace réelle » ou s'ils étaient inoffensifs parce qu’il n’avait pas l’intention d’agir par la suite. Même si c’est la première fois que la Cour Suprême s’intéresse à la limite de la liberté d’expression sur les réseaux sociaux, elle n’est pas novice quant à la liberté d’expression sur les nouvelles technologies : elle a examiné des cas sur téléphones mobiles, jeux vidéo violents, vidéo mettant en scène des tortures d’animaux.
Pour William Marshall, professeur de droit à l'Université de Caroline du Nord, la Cour est dans de bonnes dispositions pour protéger le Premier Amendement et la liberté d’expression dans les médias modernes et la culture populaire. D’ailleurs Steven Schwinn, professeur de droit à l’école de Droit John Marshall avance que « dans chaque cas, la cour a systématiquement renversé l'interdiction ou la restriction (de la liberté de parole) comme empiétant sur les droits du Premier amendement ».
Source : the Atlantic
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