La CMP estime que les codes source des logiciels utilisés dans les administrations publiques valent des documents administratifs
et sont donc communicables par principe
Fin 2014, l'économiste Thomas Piketty a tenté d’avoir accès au code source du logiciel simulant le calcul de l’impôt sur les revenus des personnes physiques dans l’optique de le réutiliser pour ses travaux universitaires sur la justice du système fiscal français. Une demande à laquelle s’est fermement opposée la direction générale des finances publiques (DGFIP).
Suite à ce refus, il s’est saisi de la CADA (Commission d’accès aux documents administratifs) pour avoir son avis. Dans sa réponse à la question au début 2015, la commission a d’abord rappelé que « le code source d’un logiciel est un ensemble de fichiers informatiques qui contient les instructions devant être exécutées par un microprocesseur ».
Pour elle, « les fichiers informatiques constituant le code source sollicité, produits par la direction générale des finances publiques dans le cadre de sa mission de service public, revêtent le caractère de documents administratifs, au sens de l’article 1er de la loi du 17 juillet 1978. Ce code est, de ce fait, communicable à toute personne qui le demande, conformément à l’article 2 de la même loi, dès lors, compte tenu des dispositions du g du 2° du I de l’article 6 de cette loi, que sa communication ne paraît pas porter pas atteinte à la recherche des infractions fiscales. En application de l’article 4, il doit être communiqué, au choix du demandeur et dans la limite des possibilités techniques de l’administration, par la délivrance d’une copie sur un support compatible avec celui qu’elle utilise, aux frais du demandeur, ou par courrier électronique et sans frais. En vertu de l’article 10 relatif à la réutilisation des informations publiques, et à moins que des tiers à l’administration détiennent des droits de propriété intellectuelle sur ce code, il peut être utilisé par toute personne qui le souhaite à d’autres fins que celles de la mission de service public de l’administration fiscale, notamment pour les besoins de la recherche en économie, telle celle à laquelle le demandeur consacre ses travaux ».
« La commission émet donc un avis favorable à la communication à Monsieur X du code source sollicité, sous la forme sous laquelle l’administration le détient. Le demandeur est libre de le réutiliser dans les conditions fixées à l’article 12 de la loi du 17 juillet 1978, en l’absence de droits de propriété intellectuelle détenus par des tiers à l’administration, dont le directeur général des finances publiques ne fait pas état », a alors conclu la CADA.
Il faut préciser que la loi CADA du 17 juillet 1978 prévoit plusieurs exceptions qui peuvent empêcher une communication. En dehors de la recherche d'infractions fiscales et douanières, figurent entre autres les pièces couvertes par les secrets liés la défense nationale, la sûreté de l'État, la conduite de la politique extérieure de la France, la sécurité publique ou la sécurité des personnes. Il faut également noter que le respect de la vie privée, les secrets en matière commerciale et industrielle peuvent empêcher la communication des documents.
Suite à cette affaire, dans le cadre du projet de loi république numérique, en commission mixte paritaire (CMP) ce 29 juin, l’amendement du rapporteur Philippe Belot qui vise à considérer le code source utilisé par une entité publique comme revêtant le caractère de document administratif a été adopté. Selon cette décision, les codes source seraient donc par principe communicables au même titre que les rapports, les circulaires, les statistiques, les dossiers, les études, les instructions, les correspondances, les procès-verbaux, etc.
Bien entendu, comme pour les documents administratifs, certains motifs pourraient permettre aux administrations de ne pas se plier à cette exigence, notamment si la divulgation du code source peut, dans le cas d’espèce, porter atteinte « à la sécurité des systèmes d'information des administrations ».
Pourtant, Frédéric Couchet, le délégué général de l’Association de promotion du logiciel libre (April), estime que bien que « cette reconnaissance constitue une première étape d’une informatique loyale au service du citoyen », cette limitation peut être problématique. Il avance que « la rédaction finale de l'article 1er bis entérine la reconnaissance de la qualité de documents administratifs communicables pour les codes source des logiciels des administrations. S'il s'agit d'une avancée réelle en termes d'ouverture et de transparence, le troisième alinéa de l'article introduit une exception à la communicabilité des documents administratifs en cas de risque d'atteinte « à la sécurité des systèmes d'information des administrations ». Exception disproportionnée, ancrée dans le fantasme de la sécurité par l'obscurité et qui porte le risque de vider l'avancée de cet article de sa substance.
Par ailleurs, la CMP est fort heureusement revenue sur un amendement adopté au Sénat, qui instaurait une exclusion systématique de certains codes source du champ du droit à communication. Exception dangereuse contre laquelle l'April s'est mobilisée auprès des parlementaires ».
Source : texte validé par la CMP, avis de la CADA, communiqué de presse April, loi du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal (article indiquant les documents administratifs qui ne sont pas communicables), amendement présenté à l'Assemblée nationale
Voir aussi :
France : la commission mixte paritaire suggère de ne pas imposer les logiciels libres aux administrations, mais les encourager
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