Envoyé par
Frédéric Lordon
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Dans ces conditions, les violences verbales, coupées des violences physiques qui leur ont donné naissance (en plus d’être sans commune mesure avec ces dernières !) sont vouées à devenir d’autant plus condamnables qu’elles sont « sans cause ». Mais l’occultation systématique dont les médias sont devenus les agents va plus loin encore puisque, non contents de faire le tri dans les images, ils font aussi le tri dans les mots. Non contents de ne rien dire des agissements réels de la police, ils ne disent rien non plus, par exemple, de ce « Policiers ne vous suicidez pas, rejoignez-nous », dont il y avait pourtant matière à faire, au minimum, un contrepoint.
France Info, média laquais par excellence, commis à la défense de Carlos Ghosn, des DRH, de la police, et des commerçants, voué au macronisme à un point de servilité qui ferait passer la regrettée Pravda pour un fanzine de rock alternatif, France Info hystérise le « suicidez-vous », comme elle avait hystérisé Christophe Dettinger, le boxeur de CRS, puis la cagnotte du boxeur, puis (mais en sens inverse) la cagnotte pour les forces de l’ordre (littéralement : cris de triomphe au micro). Cependant quand Luc Ferry demande qu’on en finisse et que l’armée tire dans le tas, quand le secrétaire général d’Unité Police FO déclare tranquillement à propos d’un mutilé qui vient de perdre sa main que « c’est bien fait pour sa gueule », France Info n’hystérise rien. Et quand il lui serait possible de faire entendre le « Rejoignez-nous », elle ne dira rien non plus.
Ici on pense irrésistiblement aux trois petits singes. Quoique en fait non, il faudrait penser à autre chose : car, au moins, yeux et oreilles bouchés, les singes de jade ont-ils la décence de se taire complètement, quand ceux des micros, qui ne voient rien, et n’entendent rien, eux, ne se taisent que sélectivement, et pour le reste parlent, parlent, parlent, n’en finissent pas de parler, mais dans une longue coulée de haine, de mépris, de racisme social, parfois de racisme tout court, comme une vomissure continue. Avec le calme assuré des aristocrates, Nicolas Domenach sur le plateau de BFM, ose intimer à Jérôme Rodrigues, bien en face, de « [ne pas employer] des mots comme “tirer dessus” ». Questions à la profession : 1) Ceci vaut-il mieux ou moins bien que « Policiers suicidez-vous » ? 2) Nicolas Domenach est-il une vermine ? On se demande en tout cas par quelle force d’âme, en allant puiser dans quelles ressources morales, Rodrigues ne s’est pas levé pour aller lui foutre son poing dans la gueule.
En attendant de trancher ces délicates questions, il faut bien que d’autres journalistes fassent le travail que ne font pas les journalistes de service : montrer. Gaspard Glanz est l’un d’eux. Il est donc logique qu’on l’enferme. Même Reporters Sans Frontière s’en indigne, c’est dire. La « profession » elle, syndicats mis à part (tout de même la moindre des choses), ne dit pas un mot. Elle n’avait pourtant pas oublié de se dresser comme un seul homme quand Mélenchon avait traité les journalistes de France Info « d’abrutis » (en quoi, au demeurant, on ne voit pas trop comment on pouvait lui donner tort). Il faut croire que la confraternité est à géométrie variable – ce qu’au reste on savait depuis longtemps déjà : solidarité, mais sous condition d’être du bon côté du manche.
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