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Les Mohicans de Paris, Tome III
— Vous dépensez plusieurs millions à rechercher les complots politiques, n’est-ce pas ? Eh bien, combien en avez-vous découvert depuis 1815 ?
— Depuis 1815, dit M. Jackal, nous en avons découvert…
— Pas un seul, interrompit Gibassier, car c’est vous qui les avez faits tous.
— C’est vrai, répondit M. Jackal, et, maintenant que vous êtes des
nôtres, je n’essayerai pas de vous rien cacher.
— Conspiration Didier, affaire de police ; – conspiration Tolleron, Pleignies et Carbonneau, affaire de police ;
– conspiration des quatre sergents de la Rochelle, affaire de police !
Comment en êtes-vous réduits là ? Parce que vous n’osez aborder franchement les quatre ou cinq grands chefs de complot que vous coudoyez tous les jours dans les rues de Paris.
Vous élaguez l’arbre, et vous n’osez porter la cognée sur le tronc ; et pourquoi cela ?
Parce que les malheureux agents que vous employez ont des yeux pour ne pas voir, des oreilles pour ne pas entendre ;
parce que vous avez rendu leur mission déshonorante et impopulaire ;
parce que vous avez ravalé le mot police en consacrant des intelligences d’élite, non pas à veiller à la sûreté de l’État, mais à arrêter des voleurs.
— Il y a du vrai dans ce que vous dites, Gibassier, fit M. Jackal en prenant une prise de tabac.
— Mais que vous ont-ils faits, ces malheureux voleurs ? Ne pouvez-vous donc pas les laisser travailler en paix ? Est-ce qu’ils vous tourmentent ? est-ce qu’ils se plaignent de la loi contre la presse ? est-ce qu’ils
font des satires contre vous ? est-ce qu’ils crient au jésuite ?… Non !
ils vous laissent faire tranquillement votre petite politique ultra. En avez vous jamais trouvé un seul dans un complot ? Au lieu de leur accorder aide
et protection comme à des gens paisibles et inoffensifs, au lieu de fermer paternellement les yeux sur leurs petites frasques, vous vous acharnez à
leurs trousses comme à une proie ; et vous appelez cela faire de la police ?
Fi ! monsieur Jackal, c’est de la petite taquinerie mesquine et basse ; c’est l’enfance de l’art, c’est la police comme elle était faite au paradis terrestre,
du temps qu’on arrêtait Adam et Ève pour une malheureuse pomme, au lieu d’appréhender au corps le serpent qui conspirait.
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