L’UE a dissimulé un rapport montrant que le piratage n’a pas d’effet négatif sur la vente de contenu protégé
après avoir payé 360 000 € pour l’étude
En janvier 2014, la Commission européenne a payé 360 000 euros à un cabinet-conseil pour étudier l'impact du piratage sur les ventes de contenu protégé. Le rapport final a été remis en mai 2015 à la Commission européenne, mais après plus de deux ans, les résultats n'ont jamais été publiés, pour une raison quelconque.
Dans le contexte actuel animé par les débats sur la réforme des droits d'auteur en Europe, Julia Reda, le seul membre du Parti Pirate au Parlement de l'UE a déposé une requête auprès du Secrétaire général de la Commission européenne pour accéder au rapport de l'étude. Rappelons que le Parti Pirate lutte pour la protection des droits et libertés fondamentales, aussi bien dans le domaine numérique qu'en dehors.
Grande a été la surprise de Julia Reda lorsqu'elle a découvert que le rapport de plus de 300 pages semble suggérer qu'il n'y a pas de preuve pour soutenir l'idée selon laquelle le piratage a un effet négatif sur les ventes de contenu protégé.
« En général, les résultats ne montrent pas de preuve statistique solide d'une [réduction] des ventes par les infractions de droit d'auteur en ligne. Cela ne signifie pas nécessairement que le piratage n'a aucun effet, mais seulement que l'analyse statistique ne prouve pas avec une fiabilité suffisante qu'il y a un effet », indique le rapport.
L'exception serait au niveau des films nouvellement disponibles et qui sont appelés à un grand succès. On les appelle souvent des « blockbusters ». Pour ces derniers, les résultats montrent un « taux de déplacement » de 40 %, ce qui signifie que pour dix blockbusters regardés illégalement, quatre de moins sont consommés légalement.
On ne sait pas si l'étude aurait eu un impact important sur le débat actuel, mais le fait qu'elle n'a pas encore été publiée suscite de sérieuses questions. Julia Reda pense même que ces résultats n'auraient peut-être jamais été divulgués si elle n'avait pas déposé sa demande d’information. Pour elle, un rapport comme celui-ci est fondamental pour les discussions sur la réforme du droit d'auteur, surtout que la conception générale est que le piratage a un effet négatif sur les revenus des titulaires de droits d'auteur.
Mais pourquoi la Commission européenne n’a-t-elle pas publié les résultats de l’étude vu la fortune qu’elle a déboursée pour cela ? Un oubli ou juste pour protéger ses intérêts et sa croyance ? Dans une réponse au média The Next Web, Julia Reda a expliqué pourquoi selon elle l’UE n’a pas publié ce rapport.
« Au début, j'étais disposée à donner à la Commission le bénéfice du doute que la publication de l'étude avait simplement été omise, puisque le département responsable a subi une importante restructuration en 2014, après que l'étude a été commanditée. Cependant, maintenant, toutes les preuves disponibles suggèrent que la Commission a activement choisi d'ignorer l'étude, à l'exception de la partie qui correspond à son programme », dit-elle.
Julia Reda explique en effet que dans un article universitaire publié en 2016, deux responsables de la Commission européenne ont indiqué que les téléchargements illégaux de blockbusters entrainent des pertes pour les ventes légales de ces films. « Toutefois, ils n'ont pas révélé que l'étude sur laquelle cela était basé portait également sur la musique, les ebooks et les jeux, où il n'a été trouvé aucun lien de ce genre », a-t-elle écrit.
« Au contraire, dans le cas des jeux vidéo, l'étude a trouvé le lien opposé, indiquant une influence positive des téléchargements illégaux de jeux sur les ventes légales. » Pour l'eurodéputé, « cela démontre que l'étude n'a pas été complètement oubliée par la Commission. » Elle précise d'ailleurs qu'ils ont également manqué à deux reprises de respecter le délai pour répondre à sa demande d'accès à cette information. « On ne peut pas s'empêcher de soupçonner la Commission d'avoir délibérément refusé de publier une étude financée par des fonds publics parce que les faits découverts étaient compromettants pour son agenda politique », a-t-elle conclu.
La question que l'on peut se poser maintenant est de savoir si cette étude aurait affecté les débats actuels sur la réforme du droit d'auteur en Europe. Il semble, en tout cas, que ce n'est pas la seule étude qui remet en question l'idée selon laquelle la violation du droit d'auteur est toujours mauvaise pour les entreprises. Mais les législateurs tiennent-ils vraiment compte des preuves académiques et scientifiques dans l'élaboration de leurs lois ? Les lois de la Commission sont-elles influencées par le lobbying et l'idéologie de l'industrie ?
Sources : Blog de Julia Reda, Rapport de l’étude de la Commission européenne, Réponse de Julia Reda
Et vous ?
Qu’en pensez-vous ?
Les résultats de l’étude de la Commission européenne vous surprennent-ils ?
Voir aussi :
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