Un très bon article de fond (disponible en entier !) sur la crise catalane : https://www.monde-diplomatique.fr/2017/11/BAUER/58050
Mais doit-on s’étonner qu’à l’image du système des partis les institutions issues de la Constitution de 1978 se limitent à un compromis entre démocratie et franquisme ? Les pères du texte cherchaient avant tout à éviter que la guerre civile ne reprenne. Le projet recherchait par conséquent une base située entre le système de caciques typique de l’Espagne nationale-catholique et la démocratie, à partir de laquelle basculer ensuite en « démocratie pure » à mesure que la société irait de l’avant. Au lieu de faire évoluer le texte de 1978, le pays l’a au contraire sanctifié : depuis sa rédaction, l’Espagne n’a pas repris le travail constituant, une promesse que sous-tendait pourtant la transition démocratique.Dans ce contexte, le défi catalan, qui se présente comme un mouvement de sécession, tire son énergie motrice du fossé creusé entre les Espagnols et leurs institutions, d’un rejet de la corruption (pourtant aussi présente en Catalogne qu’ailleurs), sans oublier une hostilité particulière aux vestiges de l’absolutisme, encore nombreux en Espagne, où le roi, l’Église et les « grands » demeurent les principaux propriétaires terriens du pays, et à ce titre bénéficient des aides européennes au développement des régions (1,85 million d’euros de subventions en 2003 pour feu la duchesse d’Albe).
La suspension du statut d’autonomie de la Catalogne par le Tribunal constitutionnel en 2010 a constitué l’étincelle qui a embrasé la plaine catalane.Un élément demeure troublant : pourquoi le roi est-il entré dans le jeu de la tension en s’exprimant publiquement pour demander au gouvernement de M. Rajoy de « rétablir l’ordre constitutionnel » ? La Constitution encadre normalement les prises de parole du monarque, qui n’a pas d’autorité sur les affaires de politique intérieure (son père était intervenu deux fois sur les ondes, mais jamais pour prendre parti). En agissant de la sorte, Felipe VI accrédite l’idée que la monarchie serait tombée dans l’orbite du PP (dont elle n’avait jamais été bien loin). Le choix d’une rhétorique agressive et d’un décor lourd de sous-entendus (le roi s’est exprimé devant le portrait de son ancêtre Charles III, qui imposa le castillan comme langue unique sur tout le territoire au XVIIIe siècle) a contribué à échauffer davantage les esprits.
La stratégie de la tension de M. Rajoy répond davantage à un besoin de sauver son parti qu’au désir de régler la question catalane.
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