Proposition de loi visant à encadrer le droit de grève

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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 avril 2018.
PROPOSITION DE LOI
visant à encadrer le droit de grève,
(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
Jean-Charles TAUGOURDEAU, Jean-Jacques FERRARA, Éric STRAUMANN,
Guillaume PELTIER, Valérie LACROUTE, Emmanuelle ANTHOINE, Bernard
BROCHAND, Bernard PERRUT, Jacques CATTIN, Valérie
BAZIN-MALGRAS, Brigitte KUSTER, Claude de GANAY, Geneviève LEVY,
Frédéric REISS, Jean-Louis MASSON,
députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
MESDAMES, MESSIEURS,
Le Préambule de la Constitution de 1946 prévoit que le « droit de
grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». Malgré cette
invitation du constituant, le législateur n’a encore pas véritablement tracé
les limites de l’exercice du droit de grève en France.
Très concrètement, la France est le pays où le recours à la grève est le
plus pratiqué. Pour exemple, entre 2005 et 2014, la France a perdu entre
6 et 8 fois plus de journées de travail que le Royaume-Uni ou
l’Allemagne ! Pour la seule année 2016, la France a connu 801 grèves, dont
691 grèves locales et 113 grèves générales interprofessionnelles.
Les solutions aux conflits sociaux varient selon les systèmes
juridiques. Dans les pays scandinaves et anglo-saxons, il existe des
méthodes très élaborées permettant de mettre fin à la grève à travers le
dialogue. En Norvège, une entité spécifique appelée « Commission
technique des rémunérations » (TBU) présente les estimations de
compétitivité permettant des négociations salariales. L’exercice du droit de
grève est également encadré en Allemagne où le déclenchement de la grève
suppose une phase préalable de négociation entre les partenaires sociaux et
implique que 75 % des salariés adhérents à un syndicat aient voté
favorablement.
Le droit de grève, comme tout droit, est susceptible d’abus. Cela peut
notamment être le cas face à des grèves à objectif purement politique et des
grèves portant une atteinte excessive à la continuité du service public.
Aujourd’hui, en France, les sanctions de l’abus du droit de grève sont
réglementées par des règles jurisprudentielles, qui au-delà d’être laissées à
l’appréciation du juge, sont souvent morcelées et incohérentes. Cela pose
un véritable problème d’intelligibilité du droit.
Or, pour reprendre Portalis « un juge est associé à l’esprit de
législation ; mais il ne saurait partager le pouvoir législatif. Une loi est un
acte de souveraineté, une décision du juge n’est qu’un acte de juridiction
ou de magistrature ».
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L’article 1 pose l’objectif de définir des motifs clairs de recours à
la grève.
Le Comité européen des droits sociaux (CEDS) du Conseil de l’Europe
a autorisé les gouvernements des États membres à prohiber les grèves
« purement politiques » dans le respect de l’article 6§4 de la Charte sociale
européenne (Conclusions I, 1969, Observation interprétative relative à
l’article 6§4, p. 39). Selon le CEDS « une grève peut être organisée
uniquement pour résoudre un différend collectif du travail ». L’article 6§4
de la Charte sociale européenne ne reconnaît pas le droit de mener des
grèves portant sur des matières relevant de la politique gouvernementale.
Dans l’histoire moderne, les premières grandes limitations des grèves
politiques en Europe sont intervenues au Royaume-Uni, sous l’impulsion
du Premier ministre Margaret Thatcher, en 1982, pour éviter que les
dirigeants syndicaux deviennent les arbitres de l’économie britannique. En
Allemagne, toute « grève politique » contre les lois discutées au Parlement
ou projetées par le gouvernement est illégale et peut être sanctionnée par
une mesure de licenciement. Mais, cette prohibition existe aujourd’hui dans
la plupart des pays européens…
Or, en France, les « grèves politiques » ne sont pas expressément
condamnées par la loi. En effet, seule la jurisprudence apprécie le caractère
irrégulier ou abusif d’une forme de grève qui ne reposerait pas sur des
revendications professionnelles, mais sur des protestations politiques
(Cass. soc. 12 octobre 1960, Bul.civ.n° 852 ; Cass. soc. 30 janvier 2008,
n° 06-21781).
Toutefois, il n’est pas aisé de qualifier une grève comme étant
purement politique en raison de l’émergence de la notion de « grève
mixte » dont les mobiles sont à la fois professionnels et politiques. Sur ce
point, la jurisprudence est totalement incohérente ! Si pour la chambre
sociale sont toujours illicites les grèves mixtes dont l’aspect politique est
prédominant (Cass. soc., 10 mars 1961, Dr. Soc. 1961, p.363 ; Cass. soc.,
29 mai 1979 : D. 1980), pour la chambre criminelle les grèves mixtes sont
constamment jugées licites, même si les revendications professionnelles
n’ont qu’un caractère accessoire par rapport aux finalités politiques
(Cass. crim. 23 octobre 1969, Bull. crim. n° 267, p. 638, D. 1970.128 ;
Cass. crim. 12 janvier 1971 : D. 1971, p. 129).
Pour cette raison, l’intervention du législateur est indispensable pour
définir des motifs clairs de recours à la grève et ainsi rappeler dans la loi
que l’exercice du droit de grève ne peut porter que sur les conditions de
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travail définies dans les protocoles d’accord, conventions d’entreprise ou
de branche.
L’article 2 pose l’objectif de définir les modalités d’exercice du
droit de grève dans le secteur privé.
En Allemagne, le déclenchement de la grève doit être précédé d’une
phase préalable de négociation entre les partenaires sociaux. À ce titre, la
confédération allemande des syndicats (DGB) a adopté en 1974 des
directives pour le déroulement des conflits collectifs comprenant sept
phases préalables au commencement de la grève.
En France la grève se déclenche de manière spontanée. L’exercice du
droit de grève n’étant soumis à aucun préavis (Cass. soc. 22 oct. 2014,
13-19.858), les salariés sont libres de choisir le moment où ils cessent de
travailler sans être tenus de respecter une quelconque formalité préalable.
Aujourd’hui le lieu, le moment, la spontanéité, la durée ou l’ampleur
de la grève, sont donc laissés à une libre appréciation des salariés.
La chambre sociale de la Cour de cassation a jugé à plusieurs reprises
qu’une « grève (…) ne saurait perdre son caractère licite du fait qu’elle
n’a pas été précédée d’un avertissement ou d’une tentative de
conciliation » (Cass. soc. 26 février 1981, Bull. civ. V, n° 161).
Notre corpus juridique ne prévoit aucune procédure précédant le début
de la grève, permettant de communiquer à l’employeur les revendications
des salariés. Ces réclamations ne lui sont adressées qu’au moment de l’arrêt
effectif de travail, ce qui empêche la mise en oeuvre d’une éventuelle
procédure de conciliation.
Le préavis peut être prévu par une convention collective, mais son
exercice reste très limité. Le non-respect d’un préavis prévu par la
convention collective n’étant pas sanctionné par les magistrats... la
jurisprudence invitant d’ailleurs le législateur à se saisir de cette
question…. Pour exemple, la chambre sociale de la Cour de cassation
affirme qu’une « convention collective ne peut avoir pour effet de limiter
ou de réglementer pour les salariés l’exercice du droit de grève
constitutionnellement reconnu (…) seule la loi peut créer un délai de
préavis de grève s’imposant à eux » (Cass. soc. 7 juin 1955, D. 1996,75,
n° 93-46448 ; Cass. soc. 7 juin 1995 n° 93-46448 ; Idem CA Paris, Pôle 6,
Chambre 2, 25 février 2016 n° 15/01390).
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Il est donc nécessaire de mettre fin aux grèves surprises et imposer une
obligation légale de préavis qui viendrait préciser les motifs de recours à la
grève, le lieu, la date et l’heure du début de la grève, ainsi que sa durée,
limitée ou non.
Le dépôt de préavis pourrait, par ailleurs, être accompagné d’une
consultation ouverte à tous les salariés concernés au sujet des motifs
figurant sur le préavis. Les conditions du vote seront définies par
l’employeur dans les vingt-quatre heures qui suivent le dépôt du préavis.
Dans l’objectif d’éviter également toute forme de pression sur les
salariés qui ne souhaiteraient pas se mettre en grève, cette proposition de
loi pose le principe du vote à bulletin secret avec la participation d’au
moins 50 % des salariés de l’entreprise pour pouvoir déclencher légalement
une grève. Cette mesure permettant ainsi de respecter la démocratie au sein
de l’entreprise, la liberté d’expression et également l’indépendance des
salariés.
L’article 3 pose l’objectif d’harmoniser les modalités de mise en
oeuvre du droit de grève dans les services publics.
À l’instar des difficultés qui se posent dans le secteur privé, le
législateur n’a pas réglé les problèmes liés à l’exercice du droit de grève
dans le secteur public.
En l’absence de textes législatifs, il appartient, d’après la
jurisprudence, aux chefs de services publics de fixer les règles relatives au
droit de grève des agents publics et organiser la nécessaire conciliation
entre ce droit et la continuité du service (CE, 7 juillet 1950 Dehaene :
Lebon 426 ; GAJA). Ce principe a été étendu à la fonction publique
territoriale (CE, 9 juillet 1965, Pouzenc, n° 58778), aux établissements
publics (CE, 17 mars 1997, n° 123912) et aux services publics même gérés
par une personne privée (CE, 23 octobre 1964, Féd. Synd. Chrétiens de
cheminots : Lebon 484).
Jusqu’à présent, à défaut de prévoir des dispositions générales
applicables au droit de grève dans les services publics, le législateur a
multiplié des règles sectorielles, c’est-à-dire les règles fragmentées et non
harmonisées (dans le service public audiovisuel, le service public
hospitalier, le service public des transports terrestres…etc.).
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La multiplication de ces règles sectorielles nuit à l’intelligibilité du
droit et nécessite une harmonisation et renforcement des règles applicables
à l’exercice du droit de grève dans le secteur public.
Si dans le secteur privé la grève a des conséquences directes pour
l’entreprise qui risque de voir sa production affectée… dans le secteur
public, la grève nuit en premier lieu aux usagers… mais également aux
agents publics qui ne souhaitent pas participer à la grève et en assumer des
sacrifices financiers (pour assurer le « service minimum » en cas de grève,
ils ne perçoivent pas leur salaire « normal », mais une indemnité prévue par
une réglementation particulière… le plus souvent par une note de service.)
Pour cette raison, il est nécessaire d’harmoniser les modalités de
déclenchement d’une grève dans le secteur public en mettant en place une
consultation large des agents des services publics au travers d’un vote à
bulletin secret dès le dépôt du préavis de la grève. Le secret du vote
limitera toute forme de pression sur les agents qui sont très souvent
contraints de suivre le mouvement. Enfin, pour garantir le caractère
démocratique de cette mesure, il est prévu qu’au moins 50 % des agents se
déclarent favorables à la cessation effective du travail.
Tels sont, Mesdames, Messieurs, les objectifs de la présente
proposition de loi.
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PROPOSITION DE LOI
Article 1er
L’article L. 2511-1 du code du travail est ainsi rédigé :
« Art. L. 2511-1. – L’exercice du droit de grève ne peut porter que sur
les conditions de travail définies dans les protocoles d’accord, conventions
d’entreprise ou de branche.
« Toute participation à une grève politique est constitutive d’une faute
lourde justifiant le licenciement.
« L’exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de
travail, sauf manquement aux dispositions du présent article ou faute lourde
imputable au salarié.
« Tout licenciement prononcé en absence de faute lourde est nul de
plein droit.
« L’exercice du droit de grève ne peut donner lieu à aucune mesure
discriminatoire telle que mentionnée à l’article L. 1132-2, notamment en
matière de rémunérations et d’avantages sociaux. ».
Article 2
Le chapitre Ier du titre Ier du livre V de la deuxième partie du même
code est complété par un article L. 2511-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 2511-2. – L’exercice du droit de grève est précédé d’un
préavis.
« Le préavis émane d’une organisation syndicale représentative au
niveau national, dans la catégorie professionnelle ou dans l’entreprise,
l’organisme ou le service intéressé. Il précise les motifs du recours à la
grève.
« Le préavis doit parvenir dix jours francs avant le déclenchement de
la grève à l’employeur. Il mentionne le champ géographique et l’heure du
début ainsi que la durée limitée ou non, de la grève envisagée.

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« Pendant la durée du préavis les parties sont tenues de négocier.
« Dès le dépôt du préavis de la grève, l’employeur décide d’une
consultation ouverte aux salariés concernés par les motifs figurant dans le
préavis, et portant sur l’opportunité de la grève.
« Les conditions du vote sont définies, par l’employeur, dans les
vingt-quatre heures qui suivent le dépôt du préavis. La consultation est
assurée dans des conditions garantissant le secret du vote. Son résultat
n’affecte pas l’exercice du droit de grève.
« Pour être légale, la grève doit être votée par un scrutin organisé à
bulletin secret et sous réserve que 50 % au moins des salariés de
l’entreprise s’y déclarent favorables.
« L’employeur en informe l’inspecteur du travail. ».
Article 3
L’article L. 2512-2 du même code est ainsi rédigé :
« Art. L. 2512-2. – Lorsque les personnels mentionnés à l’article
L. 2512-1 exercent le droit de grève, la cessation du travail est précédée
d’un préavis.
« Le préavis émane d’une organisation syndicale représentative au
niveau national, dans la catégorie professionnelle ou dans l’entreprise,
l’organisme ou le service intéressé. Il précise les motifs du recours à la
grève.
« Le préavis doit parvenir dix jours francs avant le déclenchement de
la grève à l’autorité hiérarchique ou à la direction de l’établissement, de
l’entreprise ou de l’organisme intéressé. Il mentionne le champ
géographique et l’heure du début ainsi que la durée limitée ou non, de la
grève envisagée.
« Pendant la durée du préavis, les parties intéressées sont tenues de
négocier.
« Dès le dépôt du préavis de la grève, le chef de service décide d’une
consultation ouverte aux personnels, mentionnés à l’article L. 2512-1,
concernant les motifs figurant dans le préavis, et portant sur l’opportunité
de la grève.

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« Les conditions du vote sont définies, par le chef de service, dans les
vingt-quatre heures qui suivent le dépôt du préavis. La consultation est
assurée dans des conditions garantissant le secret du vote. Son résultat
n’affecte pas l’exercice du droit de grève.
« Pour être légale, la grève doit être votée par un scrutin organisé à
bulletin secret et sous réserve que 50 % au moins du personnel, mentionné
à l’article L. 2512-1, s’y déclarent favorables. »>>