Dans l’attente de la mise en place d’un encadrement adapté et seulement pour une période transitoire, la CNIL considère que certaines de ces solutions peuvent permettre de renforcer la protection des mineurs, à condition de veiller à leur mise en œuvre et notamment aux risques additionnels engendrés par leur utilisation.
1. La vérification de l’âge par validation de la carte de paiement
La vérification de l’âge par carte de paiement présente l’avantage de ne s’appuyer que sur des infrastructures déjà déployées et éprouvées. Ainsi, même si ce type de vérification est contournable (puisque des mineurs peuvent être en possession de cartes de paiement permettant d’effectuer des achats sur Internet) et non accessible à tous (puisque des majeurs peuvent ne pas disposer d’une telle carte, notamment du fait de discrimination sociale, compte tenu des différences d’accès à une carte de crédit selon les revenus). Cette solution est déjà mise en place par un certain nombre d’acteurs. Le système repose sur le fait de vérifier la validité de la carte et non sur un paiement (certains vérificateurs proposent toutefois un micro-paiement, immédiatement annulé), ce qui peut également être utilisé pour le contrôle d’accès à des sites gratuits.
Bien que les systèmes de paiement n’aient pas été pensés pour la vérification d’attributs, en particulier l’âge du détenteur (ou de sa majorité), ils peuvent contribuer à freiner l’accès des mineurs à des sites ou services qui ne leur sont pas destinés, sous réserve de certaines conditions. Un tel système permet notamment de protéger les plus jeunes (environ jusqu’à l’entrée au collège), qui ne peuvent pas disposer d’une carte bancaire permettant de réaliser un paiement en ligne et pour lesquels la probabilité qu’ils puissent utiliser celle d’un tiers est la plus faible.
D’une part, ce système de vérification de l’âge ne doit pas, en principe, être mis en œuvre directement par le responsable de traitement (c’est-à-dire le site web consulté) mais bien par un tiers indépendant. D’autre part, les systèmes mis en place devraient veiller à la sécurité de la vérification, afin de prévenir les risques d’hameçonnage qui y seront associés. Il convient donc de s’assurer que les informations de paiement sont bien saisies sur des sites de confiance. Dans l’hypothèse où cette solution serait privilégiée, il serait souhaitable que les éditeurs de site et les fournisseurs de solutions lancent en parallèle une campagne de sensibilisation aux risques d’hameçonnage, tenant notamment compte de cette nouvelle pratique. L’accès gratuit doit le rester : l’utilisation de ce système ne doit pas entraîner de coût pour l’utilisateur.
2. La vérification de l’âge par estimation sur la base d’une analyse faciale
Certains procédés d’estimation de l’âge reposent sur une analyse faciale, sans toutefois avoir pour but l’identification de la personne. Pour éviter que les plus jeunes accèdent à un service réservé aux majeurs, ce type d’estimation est souvent suffisant, la marge d’erreur étant concentrée sur les mineures et mineurs proches de 18 ans ou les jeunes majeures et majeurs. Il est cependant nécessaire, pour les personnes qui contesteraient l’estimation, de disposer d’un autre mode de vérification.
Le recours à de tels systèmes, par leur aspect intrusif (accès à la caméra de l’appareil de l’utilisateur lors d’un premier enrôlement auprès d’un tiers, ou d’une vérification ponctuelle par ce même tiers pouvant être la source d’un chantage à la webcam lors de la demande d’accès à un site à caractère pornographique), ainsi que du fait de la marge d’erreur inhérente à toute évaluation statistique, devrait impérativement être conditionné au respect de standards de fonctionnement, de fiabilité et de performance. Ces exigences devraient être vérifiées de manière indépendante.
Ce type de méthode doit également être mis en œuvre par un tiers de confiance respectant un cahier des charges précis, en particulier concernant l’accès à des sites pornographiques. Ainsi, une estimation de l’âge effectuée localement sur le terminal de l’utilisateur devrait être privilégiée afin de minimiser les risques de fuite de données. En l’absence d’un tel cadre, cette méthode ne devrait pas être déployée.
Prérequis : pour limiter le risque de captation vidéo et les possibles chantages à la caméra, les solutions de vérification d’âge par analyse faciale devraient être certifiées et déployées par un tiers de confiance respectant un cahier des charges précis.
3. Le système de vérification hors ligne
La modalité de vérification hors ligne qui semble la plus aboutie est la commercialisation aux seules personnes majeures de « cartes à gratter » permettant de récupérer un identifiant et un mot de passe qui ouvriraient l’accès à des contenus limités par l’âge. Ces cartes seraient proposées dans certains lieux de vente, par exemple les grandes surfaces ou les bureaux de tabac, leurs personnels procédant déjà à des opérations de contrôle de l’âge dans le cadre de la vente d’alcool, de cigarettes et de jeux d’argent.
Pour autant, cette modalité ne saurait être déployée pour le seul usage de la consultation de sites à caractère pornographique, car elle pourrait être stigmatisante pour la personne concernée. L’ensemble des activités limitées par l’âge devrait y être associé, et ce modèle devrait être promu par une communauté diverse d’éditeurs (achats de produits réglementés, pornographie, etc.). Les limites d’un tel système seraient les mêmes que pour l’achat de cigarettes ou d’alcool, à savoir la fraude par revente de cartes sur un marché parallèle.
Prérequis : cette modalité nécessite une gouvernance particulière, avec une autorité éditant les cartes et gérant les systèmes d’authentification.
4. La vérification de l’âge par analyse de documents d’identité
La vérification de l’âge peut être effectuée par un acteur tiers chargé de collecter et d’analyser un document d’identité fourni par l’utilisateur. Un tel système est facilement contournable en utilisant le document d’identité d’une autre personne si seule une copie du document est nécessaire (possibilité d’utiliser un document d’une autre personne majeure, y compris au sein même du foyer). Ce système est donc à la fois peu fiable et peu respectueux des données personnelles, car il nécessite, pour fonctionner, la collecte et le traitement d’un justificatif d’identité officiel.
Certains systèmes vérifient l’identité de la personne en comparant la photographie du document d’identité fourni avec un test de « détection du vivant », c’est-à-dire la captation d’une photographie ou d’une vidéo prise par l’utilisateur au moment de la demande de vérification d’âge, afin de vérifier que l’utilisateur est bien la personne qu’il déclare être, et contrer un éventuel contournement du dispositif. Ce procédé est beaucoup plus fiable et est d’ailleurs utilisé pour la vérification d’identité selon le référentiel PVID de l’ANSSI.
Cependant, dès lors qu’il conduit au traitement de données biométriques, son usage devrait être particulièrement encadré et doit en principe, en application du RGPD, être prévu par une norme juridique spécifique ou reposer sur un consentement libre des personnes. S’il devait être utilisé, ce procédé devrait l’être dans le cadre d’un gestionnaire d’identité certifié (ou labellisé), dans les conditions exposées ci-dessous.
Prérequis : comme pour le référentiel PVID, il est nécessaire de mettre en place un organisme de certification (ou de labellisation) qui permettra de vérifier que les garanties nécessaires à la collecte et à l’analyse des pièces d’identité sont bien mises en place.
5. L’utilisation d’outils proposés par l’État pour vérifier l’identité et l’âge
Le recours aux bases de données publiques ou à un système d’authentification comme FranceConnect pourrait théoriquement permettre de justifier de son âge pour l’accès à certaines sites ou services en ligne. Cependant, FranceConnect n’a pas été pensé dans ce but, mais dans une volonté de simplification des démarches administratives : son fonctionnement même est fondé sur la journalisation des utilisations sur des serveurs de l’État. Cette modalité n’apparaît donc pas satisfaisante, puisqu’elle conduirait l’Etat à disposer d’une liste de connexions de nature purement privée. De plus, concernant la consultation des sites pornographiques, le recours à ces dispositifs conduirait à un risque d’association d’une identité officielle à des informations intimes et à une supposée orientation sexuelle.
En revanche, comme exposé ci-dessus, la connexion d’un service de gestion d’attributs opéré par un tiers de confiance à des systèmes d’identité de l’État pourrait être envisagée.
Prérequis : il est nécessaire de déployer des tiers de confiance connectant les services de gestions d’attributs à des systèmes d’identité de l’État.
6. Les systèmes de vérification de l’âge par inférence
Il existe trois grandes déclinaisons de ce type d’analyse : la première apparaît difficilement compatible avec la protection des données, alors que la deuxième soulève des questions de fiabilité. La troisième, qui soulève également des questions importantes, n’est de plus mobilisable que par un petit nombre de services collectant déjà de nombreuses données de navigation.
- L’importation de l’historique de navigation de l’individu sur Internet : cette modalité apparaît trop intrusive pour la simple finalité du contrôle de l’âge.
- L’analyse de la « maturité » par questionnaire : cette modalité semble pouvoir éviter le transfert de données personnelles. Cependant, cette méthode apparaît d’une fiabilité relative et la possibilité d’un contournement est importante (partage des réponses en ligne), de même que les biais qui pourraient y être associés. Par exemple, une partie de la population pourrait être discriminée sur ses compétences (lecture, compréhension), son niveau de maîtrise de la langue, ses références culturelles, etc. Cette méthode devrait donc être évitée.
- L’analyse de la navigation sur les services propres à l’éditeur du site (notamment les grandes plateformes numériques).
Partager