Vos compétences en IA sont moins précieuses que vous le pensez, selon un ex-Googler
estimant que c'est une mauvaise idée de lancer une startup en IA
Si elle ne date pas d'hier, l'intelligence artificielle est aujourd'hui présentée comme l'une des technologies les plus révolutionnaires du siècle. L'IA doit cela au fort développement qu'elle connait ces dernières décennies, en grande partie à cause des technologies comme le cloud et de l'augmentation des capacités de calculs. L'intelligence artificielle est en pleine croissance actuellement, et le marché de l'emploi en témoigne quand on voit que les experts dans le domaine perçoivent des salaires annuels à six, voire sept, chiffres dans la Silicon Valley. En 2016 par exemple, le laboratoire de recherche OpenAI dit avoir payé à son meilleur chercheur Ilya Sutskever plus de 1,9 million de dollars. Il a versé à un autre chercheur de premier plan, Ian Goodfellow, plus de 800 000 dollars. Dans la Silicon valley, les spécialistes en IA peuvent gagner entre 300 000 et 500 000 dollars par an en salaires et en actions. Les investisseurs sont également heureux d'ouvrir leur cœur et leur carnet de chèques lorsqu'ils rencontrent des startups en intelligence artificielle.
Parlant de l'IA dans un billet de blog, Ryszard Szopa, un ex-Googler reconnait que « c’est l’une de ces technologies transformationnelles qui arrivent une fois par génération. La technologie est là pour rester et elle changera nos vies », mais « cela ne signifie pas qu'il est facile de lancer avec une startup en IA », dit-il. Ajoutant que « quiconque essaiera de développer son activité autour de l'IA aura de grandes difficultés à surmonter. »
Ryszard Szopa, ex-Googler
Nos compétences en IA perdent leur valeur au fil des années
La première raison évoquée par Ryszard Szopa est que nos compétences en IA perdent leur valeur au fil des années. Il y a des années, il était en effet difficile de construire une IA, mais maintenant cela devient très facile grâce aux frameworks et bibliothèques d'IA comme Keras (construit sur Tensorflow) qui n'exigent aucune compréhension profonde de ce que vous faites et avec lesquels vous pouvez faire plus en peu de lignes de code. « Au moment où j'écris ces mots (début 2019), Google et Amazon proposent des services de réglage automatique des modèles (Cloud AutoML, SageMaker), et Microsoft envisage de le faire », explique Ryszard Szopa. Et « je prédis que le réglage manuel va dans le sens du bon débarras. »
Poursuivant ses propos, l'ex-Googler affirme que ce qui était difficile avant devient facile aujourd'hui. « Vous pouvez faire plus [en IA] sans avoir besoin de comprendre grand-chose. Les grandes prouesses techniques du passé commencent à être [banales], et nous ne devrions pas nous attendre à ce que nos exploits présents connaissent un sort différent à l’avenir. C'est une bonne chose et un signe de progrès incroyable », dit-il.
Ce progrès, nous le devons aux entreprises telles que Google, qui investissent énormément dans les outils et les distribuent ensuite gratuitement. Mais ce n'est pas en vain qu'elles le font. Pour Ryszard Szopa, l'une des principales raisons pour lesquelles ces entreprises vulgarisent ces outils d'IA est de pouvoir vendre un produit complémentaire : l’infrastructure Cloud. En guise de rappel des notions d'économie, précisons que deux biens sont complémentaires si vous avez tendance à les acheter ensemble. Si le prix de l'un des biens complémentaires diminue, la demande pour l'autre augmentera. « Le complément au Cloud est le logiciel qui s’exécute au-dessus », explique Ryszard Szopa, et « l’intelligence artificielle possède également la propriété intéressante de nécessiter beaucoup de ressources de calcul. Il est donc logique de rendre son développement aussi économique que possible. » Cela pourrait davantage inciter les entreprises à utiliser leur cloud.
En quelques mots, même si les progrès sont passionnants, l'ex-Googler estime que c’est une mauvaise nouvelle pour les entreprises et les particuliers qui ont beaucoup investi dans les compétences en matière d’IA. « Aujourd’hui, [ces compétences] vous confèrent un solide avantage concurrentiel, car la formation d’un ingénieur en machine learning compétent exige beaucoup de temps, mais aussi une solide formation en mathématiques. Cependant, à mesure que les outils s’améliorent, ce ne sera plus le cas. Il s’agira plus de lire des tutoriels que des articles scientifiques. Si vous ne réalisez pas votre avantage, bientôt une bande de stagiaires avec une bibliothèque [d'IA] va vous voler votre pain. Surtout si les stagiaires ont de meilleures données ». Oui, car selon lui, les données sont plus importantes que les architectures sophistiquées d'IA
Les données sont plus importantes que les architectures sophistiquées d'IA
Pour illustrer cette affirmation, Ryszard Szopa prend le cas de deux startups qui ont collecté à peu près la même somme d'argent et qui se font une concurrence féroce sur le même marché. L'une décide d'investir dans les meilleurs ingénieurs, des docteurs avec de bons antécédents en recherche sur l'IA. Et l'autre embauche des ingénieurs « médiocres, mais compétents » et investit son argent dans l'acquisition de meilleures données. Sur quelle compagnie miserez-vous votre argent ? Pour l'ex-Googler, il miserait sans réfléchir sur la startup qui a pu se procurer de bonnes données.
En effet, l'apprentissage automatique fonctionne en extrayant des informations d'un jeu de données et les généralisant à d'autres données. Un modèle est d'autant meilleur qu'il arrive à restituer ce qu'il apprend. Cela suppose donc qu'il apprend réellement quelque chose. Et pour ce faire, de meilleures données l'emporteront sur une meilleure architecture.
En plus, ces startups ne rivalisent pas seulement entre elles : « En raison de la culture ouverte de la communauté de l'IA et de l'accent mis sur le partage des connaissances, elles sont également en concurrence avec des chercheurs de Google, Facebook, Microsoft et de milliers d'universités du monde entier. Une bonne ingénierie est toujours importante, mais si vous faites de l'IA, ce sont les données qui créent l'avantage concurrentiel », dit-il. Et en parlant de données, une startup aura beaucoup de mal à s'en procurer que des entreprises comme Google, Facebook, Microsoft ou encore les universités. Et si la startup arrivait à s'approprier un bon jeu de données que ses concurrents n'ont pas, il va falloir conserver cet avantage, ce qui s'annonce encore comme une mission très difficile.
Comme l'explique l'ex-Googler, dans l'IA, il est difficile de maintenir votre avantage concurrentiel, surtout quand on a des concurrents comme les géants de l'IT qui ont beaucoup d'argent et qui peuvent payer des licences à quelqu'un qui a les données, sans oublier leurs propres capacités de collecte de données. Alors comment une startup fera-t-elle pour créer un avantage concurrentiel durable pour un produit IA ? Pour lui, la meilleure manière de tirer parti de l'IA est de l'utiliser comme un levier.
L'IA est mieux utilisée comme un levier
De nombreuses entreprises tentent de faire de l'IA leur produit. Si cela peut être très tentant si vous êtes un expert en IA, Ryszard Szopa estime cependant que c'est une idée particulièrement mauvaise. « Tout d’abord, vous êtes en concurrence avec des sociétés telles que Google et Amazon », rappelle-t-il encore. « Deuxièmement, créer un produit d'IA générique réellement utile est une tâche ardue », a-t-il ajouté. Il dit par exemple avoir toujours voulu utiliser l'API Vision de Google. Malheureusement, ils n'ont jamais rencontré de client dont les besoins étaient suffisamment pris en compte par l'offre.
L'ex-Googler pense alors qu'une « bien meilleure option consiste à traiter l'IA comme un levier. Vous pouvez utiliser un modèle d’entreprise existant et le booster avec une IA. Par exemple, si vous avez un processus qui dépend du travail cognitif humain, son automatisation fera des merveilles pour vos marges brutes. Ce qui est également intéressant ici, c’est que, puisque l’intelligence artificielle reste en arrière-plan, vous disposez de plusieurs options pour renforcer et maintenir votre avantage concurrentiel. »
En résumé, l'IA est une technologie formidable, et ceux qui y en ont des compétences devraient avoir de nombreuses opportunités s'offrir à eux. Mais pour Ryszard Szopa, créer votre startup sur l'IA est quelque chose de délicat. La première raison est que vos compétences en matière d’IA se déprécient en raison des tendances du marché. Ensuite, être capable de construire des modèles d'IA peut être très intéressant, mais ce qui compte vraiment, c'est d'avoir de meilleures données que la concurrence pour avoir un avantage concurrentiel. Or, c'est un jeu auquel vous ne pourrez jamais battre un concurrent plus riche que vous, et des concurrents riches, il y en a : Google, Amazon, Facebook, Microsoft, etc. Pour l'ex-Googler, l'IA est donc mieux utilisée en tant que levier dans des industries qui reposent sur le travail cognitif d'êtres humains peu qualifiés, car elle permet d'automatiser ce travail.
Source : Billet de blog de Ryszard Szopa
Et vous ?
Partagez-vous le point de vue de l'ex-Googler ?
Pensez-vous que la vulgarisation des outils IA va rendre inutile les compétences IA d'aujourd'hui ?
Développer une IA sera-t-il bientôt à la portée de tous ? Quel avenir pour les ingénieurs IA ?
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