Le ministre de l'Éducation et l'Assemblée nationale disent non à la priorité au logiciel libre
pour l’enseignement scolaire
Pour le service public, faut-il systématiquement avoir recours aux logiciels libres ou leur donner simplement la priorité ? Ou ni l'un ni l'autre ? C'est un vieux débat qui refait surface alors que se déroulent les débats sur le projet de loi « pour une école de la confiance », le projet de réforme de l'Éducation nationale présenté par Jean-Michel Blanquer en décembre dernier.
Quelques 1000 amendements ont été apportés, y compris trois qui visent à faire de la place pour le logiciel libre à l'école. Le premier (amendement N°571) se veut plus catégorique, il préconise le recours systématique au logiciel libre dans le cadre du service public de l’enseignement. Pour les députés qui l'ont proposé, l'apprentissage du numérique se fait souvent sur des matériels comportant des logiciels fermés, qui sont édités par les GAFAM. Ce qui serait dangereux pour l’indépendance et la souveraineté de la France. Ils suggèrent donc « que l’enseignement scolaire se fasse en logiciel libre, que ce soit au niveau des systèmes d’exploitation, que des moteurs de recherche, ou encore des logiciels de traitement de texte et de données. » Ils rappellent encore que ces logiciels peuvent être gratuits, ce qui permettrait à l’Éducation nationale de faire des économies utiles, et de dégager des fonds pour d’autres projets.
Les deux autres amendements (N° 836 et N° 837) proposent quant à eux de « donner la priorité aux logiciels libres et aux formats ouverts. » Les porteurs de l'amendement N° 836 expliquent par exemple que le recours aux logiciels libres et formats ouverts présente des avantages majeurs. Il s'agit, entre autres, de « la libre exécution du logiciel pour tous les usages, la possibilité de l’adapter et de l’enrichir, l’interopérabilité, l’évolutivité ou les capacités de mutualisation du code », qui sont pour eux « autant de caractéristiques propres au logiciel libre qui garantissent une véritable autonomie à l’égard des grands éditeurs, une meilleure sécurité, mais aussi une plus grande flexibilité aux systèmes d’informations gérés publiquement. »
Toutefois, pour le ministre de l'Éducation nationale, il n'est pas question de revenir sur ce débat. En commission, Jean-Michel Blanquer a indiqué qu'il y avait déjà un encouragement au logiciel libre dans la loi. Pour information, depuis 2013, le Code de l'éducation, dans l'un de ses articles portant sur le service public du numérique éducatif et de l'enseignement à distance, demande de « tenir compte de l’offre de logiciels libres et de documents aux formats ouverts ». En séance publique, le ministre de l'Éducation nationale a réaffirmé sa position avec de nouveaux arguments, y compris le fait que l'inscription dans la loi d'une priorité au logiciel libre pourrait être contraire au code des marchés publics ; un argument mis en avant à l'évoque par le Syntec Numérique, le syndicat professionnel des industries et métiers du numérique.
Jean-Michel Blanquer à l'Assemblée Nationale
Dans des discussions similaires, lors de l’examen de la loi pour la République numérique en 2016, les parlementaires avaient aussi choisi d'encourager l'utilisation des logiciels libres et formats ouverts « lors du développement, de l'achat ou de l'utilisation d'un système informatique », mais ne pas leur donner la priorité.
April, l'association pour promouvoir et défendre le logiciel libre dans l'espace francophone, estime que les arguments du ministre cachent un manque de volonté politique pour mettre en œuvre une véritable politique publique en faveur du logiciel libre. En 2013, elle avait publié une analyse pour montrer que la priorité au logiciel libre n'était pas en violation du droit européen. La question a par exemple été juridiquement tranchée par la Cour constitutionnelle italienne en 2010.
Le gouvernement central italien avait saisi la Cour constitutionnelle, car il considérait qu'une disposition de la loi locale du Piémont, qui privilégiait explicitement le logiciel libre, allait à l'encontre du droit de la concurrence. Mais la Cour a jugé qu'il n'y avait pas de violation des règles de la concurrence, car le concept de logiciel libre n'est pas une notion relative à une technologie déterminée, une marque ou un produit, mais représente une caractéristique juridique. Notons que l'analyse de l'association April n'a jamais été contredite. En plus, en 2013, le Parlement a inscrit la priorité au logiciel libre dans la loi enseignement supérieur et recherche. Si donner la priorité au logiciel libre a été jugé opportun pour le service public d’enseignement supérieur et de recherche, selon April, il ne devrait y avoir aucune raison pour que cela soit rejeté pour l'Éducation nationale.
C'est une chose de se battre pour qu'il soit instauré dans la loi la priorité aux logiciels libres, mais comment cette mesure sera-t-elle appliquée dans la pratique ? À quelles conditions faut-il accorder la priorité aux logiciels ? Voici, entre autres, des questions que l'on peut se poser.
Sources : Amendements (N° 571, N°836, N°837), April
Et vous ?
Que pensez-vous de ces débats sur la priorité au logiciel libre ? Cela est-il important dans l'enseignement scolaire ?
Dans la pratique, inscrire la priorité au logiciel libre dans la loi peut-il changer quelque chose dans les habitudes des décideurs IT ?
Voir aussi :
Un logiciel libre doit-il être en mesure de restreindre les tâches que ses utilisateurs peuvent effectuer avec son aide ? Non, pour Richard Stallman
France : le Sénat choisit d'encourager l'utilisation des logiciels libres et formats ouverts plutôt que de leur donner la priorité
Les députés votent la priorité au logiciel libre dans l'enseignement supérieur, échec du lobbying des éditeurs de logiciels propriétaires
Les logiciels libres ne seront plus prioritaires dans l'Éducation Nationale, ils seront envisagés mais plus préférés aux solutions propriétaires
Choisir en priorité le logiciel libre porterait atteinte au principe de neutralité technologique des marchés publics, pour le Syntec Numérique
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