Des policiers tentent d'empêcher San Francisco d'interdire la surveillance par reconnaissance faciale,
le projet de loi a l'appui des groupes de défense des droits civils
San Francisco est sur le point de devenir la première ville américaine à interdire la surveillance de reconnaissance faciale, une technologie en plein essor qui est une activité en pleine croissance aux États-Unis et qui s'étend au cœur de l’autoritarisme high-tech chinois.
Fin janvier, nous vous rapportions que le projet de loi interdisant l’utilisation de la technologie de reconnaissance faciale dans toute la ville de San Francisco devait être proposé par le superviseur Aaron Peskin et avait déjà obtenu l'appui des groupes de défense des droits civils, dont l'ACLU (The American Civil Liberties Union) de la Californie du Nord.
Selon un article qui avait été publié par Sfexaminer (San Francisco Examiner), le projet obligerait les services de la ville à demander l'approbation du conseil des superviseurs avant d'utiliser ou d'acheter une technologie de surveillance. Le projet de loi créerait également des vérifications annuelles de la technologie de surveillance pour s'assurer que les outils sont utilisés correctement.
Les villes comme Berkeley, Oakland et Boston ont adopté une ordonnance similaire qui fait obligation aux agences municipales ou aux forces de l'ordre d’obtenir l’approbation du Conseil des superviseurs avant d’adopter de nouvelles technologies de surveillance ainsi que des nouvelles politiques d'utilisation des technologies existantes. Toutefois, la nouvelle proposition va plus loin en interdisant totalement la technologie de reconnaissance faciale. Si le projet de San Francisco est approuvé, il empêcherait les services de la ville d'acheter ou d'utiliser la technologie de reconnaissance faciale. Le projet de loi, qui s'appliquerait également aux forces de l’ordre, représenterait une nouvelle étape dans la lutte contre les utilisations abusives de cet outil puissant et créerait un précédent aux Etats-Unis.
Un projet de loi qui n’est pas sans précédent
En mai 2018, ACLU, une association à but non lucratif de défense des droits numériques, accompagnée par plus de deux douzaines d'autres organisations du même type, a demandé à Amazon de cesser de vendre son système de reconnaissance d'image à la police. Pour ces associations, « Amazon Rekognition est susceptible de connaître des abus entre les mains des gouvernements » ont-elles déclaré dans une lettre adressée à Jeff Bezos, le directeur général d'Amazon. « Ce produit constitue une grave menace pour les communautés, y compris les personnes de couleur et les immigrants, et pour la confiance et le respect qu'Amazon a travaillé à construire ».
Amazon avait alors expliqué, lorsqu’il mettait Rekognition, sa technologie de reconnaissance faciale, à la disposition des forces de l’ordre, que sa technologie permettrait de faciliter les enquêtes criminelles en reconnaissant des suspects dans des photos et des vidéos. Mais l’ACLU, qui n’était pas de cet avis, a conduit des tests, en juillet 2018, sur le système de reconnaissance faciale d'Amazon et il s’est avéré que Rekognition a identifié 28 membres du Congrès américain comme étant des criminels.
Ailleurs dans d’autres pays, les populations et les groupes de défense mènent la même lutte. Dans une de ses publications parues au mois de mai, The Independent a fait état de ce que l’intelligence artificielle utilisée par les forces de police anglaises a rapporté des faux positifs dans 98 % des cas, bien que les responsables de la police se soient défendus en soutenant que l’IA est assistée par les officiers de police. En Chine dans la province de Zhejiang, un système de surveillance routière d’intelligence artificielle a classé un célèbre CEO comme un piéton qui a grillé le feu rouge.
Plusieurs groupes de défenses des droits numériques appuient cette initiative
Des groupes comme United Educators de San Francisco ont plaidé en faveur d’une interdiction des logiciels de reconnaissance faciale en raison du risque d’utilisation abusive par le gouvernement et de l’impact attendu sur les communautés de couleur. Les membres de l’Electronic Frontier Foundation, dont les bureaux sont situés à quelques pâtés de maisons de l’hôtel de ville, ont également appuyé l’ordonnance proposée.
Un intervenant public a évoqué la page de couverture de lundi du New York Times, qui contenait un article sur le rôle de Microsoft dans l’utilisation du logiciel de reconnaissance faciale en Chine pour surveiller 500 000 membres de sa population musulmane d’Uighar au cours d’un mois.
« Nous ne voulons pas que cela se produise ici », a déclaré Tim Kingston, un enquêteur du Public Defender’s Office de San Francisco, lors d'une allocution devant le Comité des règles. Aux États-Unis, un défenseur public est un avocat nommé par les tribunaux et mis à la disposition par des gouvernements des États ou du gouvernement fédéral pour représenter et conseiller ceux qui ne peuvent se permettre de faire appel à un avocat privé.
Kingston a également déclaré qu'il croyait que l'adoption de la loi était importante pour permettre aux civils de surveiller et de contrôler l'introduction de nouvelles technologies de surveillance, une question d'une importance particulière pour les pauvres, les personnes de couleur et les personnes historiquement sans pouvoir dans la société américaine.
« La technologie actuelle de reconnaissance faciale est une entreprise, une société privée, elle est exclusive. Nous ne savons pas ce qui se passe et nous n’aurons pas accès à cela sans surveillance », a-t-il déclaré.
Les forces de l’ordre tentent de stopper le projet de loi
Lundi dernier, un comité du conseil des autorités de surveillance de San Francisco a entendu cette proposition visant à interdire la reconnaissance faciale dans la ville et à imposer des exigences importantes en matière de transparence et de supervision pour l’achat ou l’utilisation d’autres formes de surveillance. L'audience a rassemblé de nombreux partisans et critiques, mais également une absence notable: la police.
Alors que des groupes de défense des libertés civiles, notamment l'American Civil Liberties Union et l'Electronic Frontier Foundation, réclament l'ordonnance sur la surveillance secrète, l'Association des officiers de police de San Francisco (SFPOA) s'oppose au projet de loi et pousse ses propres partisans à envoyer des courriels au législateur pour y mettre un terme.
Le superviseur Aaron Peskin, le législateur de la ville de San Francisco qui a présenté le projet de loi pour la première fois, a déclaré que son bureau avait été inondé de courriels émanant de la Police Officers Association. Certains courriels comportaient encore des espaces vides où les noms et les quartiers devaient être renseignés.
L’association des officiers de police a collaboré avec Stop Crime SF, un groupe local de prévention du crime proposant une clause de temporarisation d’un an et des dérogations pour l’aéroport SFO, le port de la ville et Oracle Park où les Giants de San Francisco jouent au baseball.
Voici un aperçu du courrier électronique envoyé par l’organisation policière à ses partisans.
Il convient de noter que la législation, qui a été proposée pour la première fois il y a près de trois mois, n’a pas d’incidence sur les propriétaires qui utilisent la vidéosurveillance comme Nest et Ring ou les propriétaires d’entreprises privées disposant de leurs propres systèmes de surveillance.
Un projet de loi similaire a été présenté au Sénat de l’État de Californie, mais a été rejeté en raison de l’opposition de la police, a déclaré Peskin.
« Nous pouvons avoir une bonne sécurité sans un état de sécurité et une bonne police sans un état de police », a déclaré Peskin.
Sources : ordonnance, NYT
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Pour ou contre la reconnaissance faciale en France pour la police ?
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