Des sénateurs US présentent un projet de loi pour la protection des enfants qui sous-entend l’arrêt du chiffrement en ligne
et considéré par ses détracteurs comme un « cheval de Troie »
Un groupe bipartisan de sénateurs américains vient de présenter un projet de loi pour la protection des enfants sur Internet, visant à limiter la distribution d’éléments pédopornographiques en ligne. Mais, des groupes d’entreprises du secteur de la technologie et des organismes pour la défense des libertés civiles critiquent fortement cette initiative qu’ils entendent comme une volonté de bannir le chiffrement de bout en bout, un véritable cheval de Troie selon eux.
Pour ses partisans, le projet de loi en question, nommé Eliminating Abuse and Rampant Neglect of Interactive Technologies Act ou « EARN IT » Act (loi sur l'élimination des négligences abusives et incontrôlées des technologies interactives), chercherait à responsabiliser davantage les entreprises vis-à-vis des violations des législations sur les abus sexuels commis sur les enfants. En fait, compte tenu de la loi actuellement en vigueur, en vertu de l’article 230 de la Communication Decency Act, les opérateurs de site Web sont largement immunisés sur le plan juridique concernant l’hébergement de contenu tiers. Cela veut dire que ces entreprises ne sont pas tenues responsables des contenus et publications illégaux qui sont affichés et échangés par des personnes louant leur service d’hébergement. Néanmoins, une autre loi de 2018 dénommée FOSTA-SESTA a modéré cette large immunité en écartant les cas relatifs à la prostitution et au trafic sexuel.
Ainsi, EARN IT viendra affaiblir encore plus cette immunité en exigeant que les entreprises concernées déploient tous les moyens pour identifier et retirer tout matériel susceptible de favoriser l’abus sexuel d’enfant sur leurs sites Web. À cet effet, ce projet de loi ne bannit pas directement l’utilisation du cryptage sur les plateformes en ligne. En revanche, il entrainera la création d’une commission chargée d’élaborer les « meilleures pratiques » en matière de prévention des comportements d’exploitation des enfants en ligne, celles-ci étant destinées à être observées par les prestataires de services informatiques interactifs. Le non-respect de ces meilleures pratiques rendra donc ces entreprises passibles à des poursuites judiciaires.
Or, comme le note Electronic Frontier Foundation, cette commission serait sous la domination des forces de l’ordre qui ont à plusieurs reprises incité les opérateurs des sites Web et des plateformes interactives en ligne à modérer le cryptage. De ce fait, les opposants à ce projet de loi craignent que les meilleures pratiques à développer par cette commission ne consistent finalement pas en l’interdiction pure et dure du chiffrement en ligne. D’ailleurs, le secrétaire adjoint à la politique au Département de la sécurité intérieure et avocat général à la NSA, Stewart Baker, a reconnu que ce projet de loi pourrait rendre difficile l’autorisation d’utilisation du cryptage pour les entreprises.
Parmi les détracteurs à ce projet de loi, le sénateur Ron Wyden élève ainsi la voix : « Cette terrible législation est un cheval de Troie qui donne au procureur général Barr et à Donald Trump le pouvoir de contrôler la parole en ligne et d’exiger que le gouvernement ait accès à tous les aspects de la vie des Américains ». Dès lors, Wyden pointe du doigt l’administration Trump comme profitant de l’avantage politique conféré par ce projet de loi.
Pour sa part, Internet Association ajoute que l’article 230 de Decency Act est amplement suffisant pour autoriser de manière proactive les sociétés Internet à atteindre les objectifs définis pour EARN IT. L’association argumente que « les sociétés de technologie se coordonnent déjà avec les forces de l’ordre dans ce domaine ». Baker admet désormais que le chiffrement est censé offrir une sécurité supplémentaire aux utilisateurs, tout en rendant les produits et services des sociétés Internet plus compétitifs ; mais, il ajoute aussi que le cryptage peut masquer également les réseaux qui distribuent des matériels pédopornographiques.
Les débats sont alors très vifs entre les opposants et les partisans à EARN IT. Ces derniers martèlent que ceux qui veulent maintenir le statu quo sont indifférents à la maltraitance des enfants. Les initiateurs de ce projet de loi, à savoir Lindsey Graham (président du comité judiciaire du Sénat), les sénateurs Richard Blumenthal et Josh Hawley, ainsi que le membre du classement Dianne Feinstein, laissent entendre que la législation actuelle n’a pas véritablement permis d’aller de l’avant dans la lutte contre l’abus sexuel via Internet. Blumenthal a par exemple souligné qu’« Internet est infesté d’images épouvantables d’enfants qui ont été brutalement agressés et exploités, et qui sont contraints de supporter durant toute une vie des douleurs résultant de la diffusion de ces photos et vidéos en ligne ».
De leur côté, les entreprises concernées mettent en avant la menace que représente le bannissement du chiffrement, en insistant que le chiffrage est une nécessité pour garantir la sécurité sur Internet. EARN IT introduit une fausse option en opposant la protection des enfants, d’une part, et la conservation des protections via le chiffrement, d’autre part, selon NetChoice, un groupe qui rassemble des opérateurs tels que Facebook, Twitter et Google.
Sources : U.S. Department of Justice, U.S Senate
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Est-il possible que l’UE emboîte le pas également aux Américains et Britanniques dans la limitation possible du chiffrement en ligne ?
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