Epic Games affirme que Google s'est entendu avec les constructeurs de téléphones pour éviter de perdre 1,1 milliard de dollars de bénéfice,
si d'autres développeurs venaient à suivre l'exemple d'Epic
Il a été quelque peu déroutant de savoir pourquoi Epic a poursuivi Google alors que la société pouvait facilement charger des applications sur Android et contourner les restrictions imposées par Google sur la distribution et le partage des revenus en évitant de la publier sur Google Play Store.
Il s'avère qu'Epic avait de nombreuses raisons d'être contrarié par Google, selon une version non censurée de la plainte initiale d'Epic contre Google qui a été descellée par le juge James Donato.
L'entente avec les OEM pour évincer les initiatives comme celle du sideloading de Fortnite sur Android
Pour mémoire, en 2018, Epic a fait un pari audacieux : apporter son jeu Fortnite sur Android en décidant de se passer de Google et des 30 % de commissions touchées pour les applications publiées sur Play Store.
« Le 9 août, nous avons lancé la bêta Android de Fortnite sur certains appareils de nos partenaires chez Samsung. Quelques jours plus tard, nous avons lancé des invitations à un sous-ensemble de propriétaires d'appareils Android auprès de divers fabricants de combinés. Nous avons beaucoup appris de la version bêta en ce qui concerne les performances, la sécurité, la compatibilité des appareils et la fourniture de Fortnite sur Android via Fortnite Installer », raconte l’équipe dans un long billet technique.
Quel était le bilan un mois plus tard ? « Au cours des 21 premiers jours qui ont suivi le lancement de Fortnite sur Android, l’intérêt a été très vif, avec plus de 23 millions de joueurs entrant dans notre version bêta Android et plus de 15 millions de joueurs ayant installé notre APK. Alors que nous sommes dans une phase d'invitation seulement pour Android, notre conversion des joueurs invités à jouer est similaire à celle de la bêta iOS », explique Epic.
Google craignait que d'autres sociétés copient Epic et a bloqué cette possibilité en érigeant des obstacles illégaux, a affirmé Epic dans un procès antitrust intenté contre Google l'année dernière. Google a déclaré que la plainte reste sans fondement et dénature les conversations commerciales. Un procès n'a pas été programmé.
Parmi les nouveaux détails qu'un juge avait demandé à l'époque de ne pas laisser filtrer, Google a estimé en 2019 que jusqu'à 6 milliards de dollars de revenus Play et 1,1 milliard de dollars de bénéfices seraient menacés rien qu'en 2022 si l'approche d'Epic se répandait et que les magasins alternatifs réussissaient, selon la plainte.
Mais Google a évité ce scénario en choisissant de payer les fabricants de smartphones pour ne pas intégrer la boutique d'applications d'Epic, car il craignait que d'autres développeurs ne quittent le Google Play Store.
En 2019, l'entreprise a lancé le « Premier Device Program » pour payer les fabricants de téléphones tels que LG, Motorola, Oppo et Vivo, Sony, Sharp, Xiaomi et Nokia afin d'assurer l'exclusivité du Play Store et de limiter l'attrait de partenariats similaires à ce qu'Epic avait conclu avec Samsung, selon les détails récemment publiés. Les partenaires ont reçu 12% des revenus de recherche de Google de leurs téléphones, contre 8% traditionnellement, pour ne pas livrer des téléphones avec des magasins d'applications concurrents, selon le document. Certains partenaires, dont LG Electronics Inc et Motorola du groupe Lenovo, ont également reçu 3 à 6 % des « dépenses Google Play » effectuées sur leurs appareils.
« Le comportement anticoncurrentiel de Google s'est déroulé de la manière suivante : Google a commencé à offrir aux OEM la possibilité de participer à son "Premier Device Program" à partir de 2019. Bien que Google ait précédemment offert aux OEM qui ont signé ses MADA (ndlr. Mobile Application Distribution Agreement) restrictifs la possibilité de participer à un RSA (ndlr. Revenue Sharing Agreement), le nouvel accord "Premier" contient encore plus de restrictions sur les OEM. Les propres documents de Google reconnaissent que les accords de niveau "Premier" imposent "l'exclusivité et les valeurs par défaut de Google pour toutes les fonctions clés : aucune application avec des droits d'installation APK" sur les appareils Premier, ce qui signifie que l'OEM ne peut pas installer d'applications avec la possibilité d'installer d'autres applications (en d'autres termes, les magasins d'applications ou le Fortnite Launcher Epic cherchaient à être distribués en dehors de Play). Google a reconnu que les nouveaux accords Premier entraînent une "exclusivité" pour Google Play sur les appareils couverts. En échange de ces engagements d'exclusivité, Google a offert aux OEM diverses formes d'incitations financières, dont 4 % des revenus de recherche de Google générés par les appareils couverts (en plus des 8 % des revenus de recherche que Google s'engage déjà à verser aux OEM qui signent un RSA non-Premier et un MADA), ainsi que d'autres incitations financières telles que des primes mensuelles. Pour certains équipementiers, dont LG et Motorola, Google a également accepté de payer entre 3 et 6 % des "dépenses de Play" engagées sur les appareils Premier fabriqués par les équipementiers, structurant l'accord "pour accroître l'attrait global" et verrouiller son pouvoir de monopole dans des "[zones géographiques] à monétisation élevée" (comme aux États-Unis, où LG et Motorola vendent les appareils mobiles Android les plus populaires en dehors des appareils Samsung). Les RSA de Google jouent un rôle important en incitant les OEM à signer un MADA, car les OEM ne peuvent pas bénéficier des avantages d'un RSA sans être partie à un MADA ».
Le projet Agave
Si ces tactiques vous semblent familières, c'est peut-être parce que 36 procureurs généraux ont allégué que Google avait utilisé exactement les mêmes accords de silence contre le Galaxy Store de Samsung, dans le cadre de la poursuite antitrust qu'ils ont intentée contre Google en juillet. Google l'a appelé « Projet Agave », selon Epic :
« Epic n'a pas les détails d'un accord conclu par Google avec Samsung dans le cadre du projet Agave, car Google n'a pas encore produit de nombreux documents sous-jacents à Epic, et Google a maintenu des censures sur les allégations pertinentes des États lorsque Google a produit la plainte des États à Epic. Mais les documents que Google a fournis à Epic révèlent que Google a cherché un "accord chirurgical individuel" avec Samsung, dans lequel Google garantirait, entre autres, des "protections de jeu" et en échange donnerait à Samsung une "part de revenu sur navigateurs et assistant", un pourcentage "de la part de revenu Play sur IAP optimisé par Google" et "des intégrations de facturation pour App Gallery" ».
Apparemment, Google considérait le soi-disant « Premier Device Program » comme un énorme succès :
« Dans une présentation préparée et présentée aux cadres supérieurs de Google Play, Google a noté qu'en peu de temps depuis le début du programme, plus de 200 millions de nouveaux appareils ont été couverts. La même présentation montre que Google pensait que les nouveaux RSA éliminaient avec succès le "risque de contagion des développeurs d'applications" ; notant qu'il n'y avait "aucun risque" sous le "niveau Premier actuel" ».
La tentative de rachat d'Epic par Google en passant par Tencent, propriétaire minoritaire
Google a même suggéré l'idée d'acheter Epic pour éliminer la menace (en passant dans le dos d'Epic et en approchant le propriétaire minoritaire Tencent, le géant chinois de la technologie qui détient actuellement une participation de 40% dans Epic). Les suggestions étaient « soit (a) acheter des actions Epic à Tencent pour avoir plus de contrôle sur Epic », soit « (b) rejoindre Tencent pour acheter 100% d'Epic », est-il indiqué dans la plainte.
Et cela s'ajoute aux transactions que Google a eues directement avec Epic en juillet 2018, lorsque le directeur financier d'Alphabet et d'autres cadres supérieurs de Google auraient offert jusqu'à 208 millions de dollars en « avantages spéciaux » sur trois ans pour amener Fortnite sur Google Play (Google aurait proposé de prendre 25 pour cent des revenus du jeu au lieu des 30 pour cent standard). Google aurait tenté de convaincre Epic de conclure l'accord en soulignant le processus « franchement abyssal » de plus de 15 étapes que les joueurs devraient endurer pour charger Fortnite sur Android.
Curieusement, cette proposition est venue le mois avant qu'Epic n'annonce qu'il abandonnait le Play Store. Cela suggère que Google a eu un accès anticipé aux plans de sideloading d'Epic, malgré les instructions du PDG Tim Sweeney en février 2018 à son équipe de « NE RIEN DIRE JUSQU'À CE QUE CELA SOIT LIVRÉ ».
Google payait également des développeurs tels qu'Activision Blizzard pour les tenir à l'écart des magasins d'applications alternatifs tels que le Samsung Galaxy Store.
Les initiatives peuvent être vues résumées dans la diapositive de Google ci-dessous :
« Google a conclu des accords préférentiels avec les principaux développeurs d'applications mobiles, tels qu'Activision Blizzard, dans le cadre d'une initiative que Google appelait à l'origine Project Hug et se réfère désormais aux programmes Apps and Games Velocity. Ces accords permettent à Google de garder son comportement monopolistique publiquement incontesté. Mais Epic n'est pas intéressé par des accords parallèles qui pourraient profiter à Epic seul tout en laissant intactes les restrictions anticoncurrentielles de Google ; au lieu de cela, Epic se concentre sur l'ouverture de l'écosystème Android au profit de tous les développeurs et consommateurs ».
Epic ne cherche pas de compensation financière
Dans sa plainte, Epic précise :
« Google a acquis le système d'exploitation mobile Android il y a plus de dix ans, promettant à plusieurs reprises au fil du temps qu'Android serait la base d'un écosystème "ouvert" dans lequel les acteurs de l'industrie pourraient librement innover et rivaliser sans restrictions inutiles. Le PDG de Google, Sundar Pichai, a déclaré en 2014 qu'Android "est l'un des systèmes les plus ouverts que j'aie jamais vus". Et Andy Rubin, un fondateur d'Android qui est décrit par certains comme étant le "père d'Android", a déclaré lorsqu'il a quitté Google en 2013 "qu'à la base, Android a toujours été axé sur l'ouverture". Depuis, Google a changé de ligne de conduite, fermant délibérément et systématiquement l'écosystème Android à la concurrence, rompant ainsi les promesses qu'il avait faites. Le comportement anticoncurrentiel de Google est désormais condamné par les régulateurs du monde entier (...).
« Epic ne demande pas à cette Cour d'indemnisation pécuniaire pour les préjudices qu'elle a subis. Epic ne cherche pas non plus un accord parallèle ou un traitement favorable de Google pour lui-même. Au lieu de cela, Epic demande une injonction qui tiendrait la promesse non tenue de Google : un écosystème Android ouvert et compétitif pour tous les utilisateurs et participants de l'industrie. Une telle mesure d'injonction est absolument nécessaire. »
Source : plainte
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