L'UE semble prête à suivre l'exemple de l'Australie en exigeant que Google et Facebook paient pour les articles de presse,
évoquant des « déséquilibres de pouvoir de négociation aigus » entre les plateformes technologiques et la presse
Fin juillet, le gouvernement australien, à travers la Commission australienne de la concurrence et des consommateurs (abrégée ACCC en anglais), a annoncé qu’il allait contraindre Facebook et Google à payer une rémunération aux groupes de presse du pays pour les contenus qui sont relayés sur leurs plateformes.
Pour ce faire, la Commission australienne de la concurrence a publié un projet de code obligatoire qui va définir un cadre qui permettra « aux entreprises de médias d’information de négocier individuellement ou collectivement avec Google et Facebook sur le paiement de l’inclusion de contenus » sur leur plateforme respective. Dans ce projet de loi, il est stipulé que « si les entreprises de presse et les plateformes numériques ne peuvent pas conclure un accord dans le cadre d’un processus formel de négociation et de médiation de trois mois, un arbitre indépendant choisirait alors l’offre finale des deux parties la plus raisonnable dans un délai de 45 jours ouvrables ». « Des accords de paiement pourraient être conclus dans les six mois suivant l’entrée en vigueur du code si un arbitrage est nécessaire », souligne la Commission australienne de la concurrence australienne.
Les élus planchent pour une application cette année, l’Australie deviendrait ainsi le premier pays à obliger Google et Facebook à payer les éditeurs pour les contenus dès qu'ils sont affichés sur leurs vitrines en ligne. En outre, si le projet de code ne s’applique qu’à Google et Facebook pour l’instant, d’autres plateformes numériques pourraient être ajoutées si elles atteignent à l’avenir un déséquilibre du pouvoir de négociation avec les entreprises de médias d’information australiennes.
La réaction de Facebook
Cette situation a conduit Facebook à prévenir que le réseau social pourrait empêcher les utilisateurs australiens de partager des articles de presse si la législation venait à être adoptée sous sa forme actuelle.
Dans un billet de blog, Will Easton, Managing Director, Facebook Australia & New Zealand, a déclaré :
« L'Australie est en train de rédiger un nouveau règlement qui ne comprend pas la dynamique d'Internet et qui nuira aux organisations de presse que le gouvernement tente de protéger. Lors de l'élaboration de cette nouvelle législation, la commission chargée de superviser le processus a ignoré des faits importants, surtout la relation entre les médias d'information et les médias sociaux et laquelle bénéficie le plus de l'autre.
« En supposant que ce projet de code devienne loi, nous arrêterons à contrecœur d'autoriser les éditeurs et les personnes en Australie à partager des informations locales et internationales sur Facebook et Instagram. Ce n'est pas notre premier choix – c'est notre dernier. Mais c’est le seul moyen de se prémunir contre un résultat qui défie la logique et qui nuira, au lieu d’aider, au dynamisme à long terme du secteur australien des actualités et des médias.
« Nous partageons l’objectif du gouvernement australien de soutenir les organes de presse en difficulté, en particulier les journaux locaux, et nous nous sommes largement engagés avec la Commission australienne de la concurrence et de la consommation qui a dirigé l’effort. Mais sa solution est contre-productive à cet objectif. Le projet de loi a une portée sans précédent et vise à réglementer tous les aspects de la façon dont les entreprises technologiques font affaire avec les éditeurs d’actualités. Plus déroutant, cela obligerait Facebook à payer les agences de presse pour le contenu que les éditeurs placent volontairement sur nos plateformes et à un prix qui ignore la valeur financière que nous apportons aux éditeurs.
« L'ACCC présume que Facebook profite le plus de ses relations avec les éditeurs, alors qu'en fait l'inverse est vrai. Les actualités représentent une fraction de ce que les gens voient dans leur fil d'actualité et ne sont pas une source de revenus importante pour nous. Néanmoins, nous reconnaissons que les informations jouent un rôle essentiel dans la société et la démocratie, c'est pourquoi nous proposons des outils et des formations gratuits pour aider les entreprises de médias à atteindre un public beaucoup plus large qu'auparavant.
« Les organismes de presse en Australie et ailleurs choisissent de publier des actualités sur Facebook pour cette raison précise, et ils encouragent les lecteurs à partager des actualités sur les plateformes sociales pour augmenter le lectorat de leurs actualités. Cela leur permet à leur tour de vendre plus d'abonnements et de publicité. Au cours des cinq premiers mois de 2020, nous avons renvoyé gratuitement 2,3 milliards de clics depuis le fil d'actualité de Facebook vers les sites d'informations australiens – un trafic supplémentaire d'une valeur estimée à 200 millions de dollars australiens vers les éditeurs australiens.
« Nous investissons déjà des millions de dollars dans les entreprises de presse australiennes et, lors des discussions sur cette législation, nous avons proposé d'investir des millions de plus. Nous avions également espéré amener Facebook News en Australie, une fonctionnalité de notre plateforme exclusivement dédiée aux actualités, où nous payons les éditeurs pour leur contenu. Depuis son lancement l'an dernier aux États-Unis, les éditeurs avec lesquels nous nous associons ont constaté les avantages d'un trafic supplémentaire et de nouvelles audiences ».
La réaction de Google
Le gouvernement australien a été enfermé dans une guerre des mots avec Google sur les nouvelles réglementations proposées ces dernières semaines, aboutissant à la menace du géant de la technologie de fermer son moteur de recherche localement.
En octobre 2020, Google a annoncé qu'il prévoyait de payer 1 milliard de dollars aux éditeurs du monde entier pour leurs actualités au cours des trois prochaines années. Avec Google News Showcase, les médias vont disposer d’un outil pour personnaliser les articles qu’ils envoient à Google News Showcase. Dans un premier temps, il s’agira d’une ligne temporelle du déroulé des événements, des listes à puce récapitulatives et des articles de contexte liés à l’article en cours de lecture. Par la suite, Google envisage d’incorporer du contenu vidéo, audio ainsi que du direct.
Plusieurs accords avec des éditeurs ont été signés à cet effet, y compris avec des éditeurs australiens (accords qui ont été ratifiés en juin). Mais l'entreprise envisage de geler ce programme en Australie, au motif que le projet de code de négociation des médias d'information était « irréalisable » :
« Les accords que nous avons signés en Australie et dans le monde montrent que non seulement nous sommes prêts à payer pour obtenir une licence de contenu d'actualité pour un nouveau produit, mais que nous sommes en mesure de conclure des accords avec des éditeurs sans le cadre de négociation onéreux et normatif du projet de code et un modèle d'arbitrage latéral.
« Nous ne nous opposons pas à un code et à un système de résolution des litiges entre les parties. Mais le système d'arbitrage décrit dans le projet est irréalisable. Outre les problèmes que nous avons soulevés le 27 septembre, nous sommes préoccupés par ses conditions de paiement injustes et ses définitions et obligations peu claires.
« Nous pensons que ces conditions pourraient être modifiées pour en faire un code juste et réalisable : un code qui peut fonctionner avec des accords commerciaux et des programmes comme News Showcase ».
Néanmoins, vendredi 5 février 2021, Google a choisi une autre approche : l'entreprise a lancé sa plateforme en Australie offrant des informations pour lesquelles elle a payé, concluant ses propres accords de contenu avec des éditeurs dans le but de montrer que la législation proposée par Canberra pour appliquer les paiements, une première mondiale, est inutile.
L'Europe s'intéresse à l'évolution de la situation en Australie
Les législateurs européens pourraient suivre l'exemple de l'Australie en appelant les grandes plateformes technologiques comme Facebook et Google à payer pour afficher des articles de presse. L'UE semble prête à faire des demandes similaires aux géants de la technologie, selon le Financial Times, alors que les législateurs cherchent à s'appuyer sur le cadre décrit dans les lois européennes récemment proposées sur les services numériques et les marchés numériques.
S'adressant au journal, l'eurodéputé maltais Alex Saliba a déclaré que l'approche du gouvernement australien avait abordé les « déséquilibres de pouvoir de négociation aigus » entre les plateformes technologiques et les éditeurs d'actualités.
« Grâce à leur position dominante sur le marché de la recherche, des médias sociaux et de la publicité, les grandes plateformes numériques créent des déséquilibres de pouvoir et bénéficient de manière significative du contenu des actualités », a-t-il déclaré. « Je pense qu'il est juste qu'ils remboursent un montant raisonnable ».
L'UE a été à l'avant-garde de nouvelles réglementations strictes en matière de données et de technologies ces dernières années, introduisant la vaste législation sur la protection des données du RGPD, qui a entraîné des amendes massives pour des établissements comme British Airways et Marriott Hotels, et des propositions de répression sur les géants du numérique.
« Les gens font confiance à Google pour les aider à trouver des informations pertinentes et fiables à partir d'une gamme de sites Web, et cela aide les éditeurs qui se voient envoyer un trafic précieux vers leurs sites », a déclaré un porte-parole de Google au FT. « Nous sommes prêts à payer pour soutenir davantage le journalisme et nous le faisons dans le monde entier ».
Sources : Financial Times, Facebook
Et vous ?
Qu'en pensez-vous ?
Partager