Projet de loi contre le séparatisme : comment le gouvernement compte-t-il lutter contre la haine en ligne ?
voici quelques points essentiels abordés par le volet numérique de la loi
Le Parlement a adopté mardi le projet de loi contre le séparatisme islamiste qui vise à conforter le respect des principes de la république. La loi a été majoritairement votée par les députés, notamment avec 347 voix pour, 151 voix contre et 65 abstentions, et sera examinée au Sénat à partir du 30 mars. Le texte du projet de loi aborde plusieurs points, dont la neutralité du service public, la lutte contre la haine en ligne, l’encadrement de l’instruction en famille. Dans son volet numérique, la loi introduit de nouvelles infractions et propose une transcription par avance du règlement relatif au Digital Service Act.
Lutte contre la pratique dite de doxing et les sanctions inhérentes
Le texte du projet de loi, long de 82 pages environ, adopté mardi dernier a listé au Chapitre IV les dispositions relatives à la lutte contre les discours de haine et les contenus illicites en ligne. À ce stade, l’article 18 du projet de loi proposé par le gouvernement introduit une nouvelle infraction dans le Code pénal. La loi dit que la pratique de doxing est désormais condamnable, lorsque la divulgation de données personnelles est faite dans le but de nuire. Rappelons que le terme "Doxing" (également écrit doxxing parfois) est l'abréviation de "dropping dox", c'est-à-dire l'argot pour les documents.
En général, le doxing est un acte malveillant, utilisé contre des personnes avec lesquelles le hacker n'est pas d'accord ou qu'il n'aime pas. C'est l'acte de révéler des informations d'identification sur une personne en ligne, comme son vrai nom, son adresse, son lieu de travail, son téléphone, ses informations financières et autres informations personnelles. Ces informations sont ensuite diffusées au public, sans la permission de la victime. Avec l'adoption de la loi, la législation prévoit désormais ce qui suit :
« Art. 223-1-1. – Le fait de révéler, de diffuser ou de transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser aux fins de l’exposer, elle ou les membres de sa famille, à un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens que l’auteur ne pouvait ignorer est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
Lorsque les faits sont commis au préjudice d’une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public ou titulaire d’un mandat électif public, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende. Lorsque les faits sont commis au préjudice d’une personne mineure, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende ».
La loi introduit de nouveaux outils dans la lutte contre les sites miroirs
À la suite des sanctions introduites contre la pratique de doxing, la loi introduit à son article 19 de nouveaux outils pour lutter contre les sites miroirs. En bref, l'article 19 prévoit qu'une autorité publique pourra réclamer le blocage et le déréférencement des répliques (identiques ou « équivalentes ») du site concerné, directement chez les FAI, les hébergeurs et les moteurs. Selon la disposition, cette dernière n'est pas tenue de passer par la case juge ni soumettre la décision à un contrôle externe. Toutefois, le juge reviendra dans la boucle si l’autorité n’obtient pas gain de cause.
« Lorsqu’il n’est pas procédé au blocage ou au déréférencement desdits services en application du présent article, l’autorité judiciaire peut être saisie, en référé ou sur requête, pour ordonner toute mesure destinée à faire cesser l’accès aux contenus de ces services », peut-on lire dans le projet de loi adopté. Cette mesure concerne les infractions suivantes :
- apologie des atteintes volontaires à la vie, à l’intégrité de la personne, des agressions sexuelles, vols, extorsions et destructions, dégradations et détériorations volontaires dangereuses pour les personnes (cinquième alinéa de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881) ;
- apologie des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, des crimes de réduction en esclavage, d’exploitation d’une personne réduite en esclavage, des crimes et délits de collaboration avec l’ennemi (cinquième alinéa de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881) ;
- provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée (septième alinéa de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881) ;
- provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap (huitième alinéa de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881) ;
- propos relevant du harcèlement sexuel (article 222-33 du code pénal) ;
- traite des êtres humains (article 225-4-1 du Code pénal) ;
- proxénétisme ou assimilé (articles 225-5 et 225-6 du Code pénal) ;
- enregistrement ou diffusion d’images pédopornographiques (article 227-23) ;
- fabrication, transport ou diffusion d’un message à caractère violent, incitant au terrorisme, pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ou à inciter des mineurs à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger (article 227-24 du Code pénal) ;
- provocation à des actes de terrorisme ou apologie de tels actes (article 421-2-5 du Code pénal).
La loi intègre une prétranscription du règlement relatif au Digital Service Act
Les dispositions introduites ici par la loi constituent des emprunts au Digital Service Act en cours d'examen par la Commission européenne. En effet, la Digital Service Act (DSA) ou la loi sur les services numériques est une proposition législative de la Commission européenne soumise au Parlement européen et au Conseil européen le 15 décembre 2020. La DSA est l'une des deux propositions du paquet de la loi sur les services numériques. La deuxième proposition du paquet est la loi sur les marchés numériques (DMA) présentée par la Commission européenne le même jour.
En vertu de la DSA, des obligations contraignantes à l'échelle de l'UE s'appliqueront à tous les services numériques qui mettent les consommateurs en contact avec des biens, des services ou des contenus. La DSA introduit également de nouvelles procédures pour le retrait plus rapide des contenus illégaux ainsi qu'une protection complète des droits fondamentaux des utilisateurs en ligne. Selon les explications de Bruxelles, le nouveau cadre rééquilibrera les droits et les responsabilités des utilisateurs, des plateformes intermédiaires et des autorités publiques.
La DSA a été préparée par la vice-présidente exécutive de la Commission européenne pour une Europe adaptée à l'ère numérique, Margrethe Vestager, et par le commissaire européen au marché intérieur, Thierry Breton, en tant que membres de la Commission Von der Leyen. La France n'a pas attendu la fin des travaux au niveau européen et s'inspire de la DSA pour introduire une nouvelle règlementation pour les plateformes en ligne, notamment :
- informer, dans les meilleurs délais, les autorités judiciaires ou administratives des actions qu’ils ont mises en œuvre à la suite des injonctions reçues ;
- accuser réception sans délai des demandes des autorités judiciaires ou administratives tendant à l’identification des utilisateurs ;
- conserver temporairement les contenus signalés qu’ils ont retirés ;
- accuser réception sans délai des notifications visant au retrait d’un contenu ;
- garantir l’examen approprié de ces notifications dans un prompt délai ;
- informer leur auteur des suites qui y sont données ;
- etc.
Une attestation montrant que l'élève a été préparé à un bon usage d'Internet
En France, le Code de l'Éducation prévoit déjà qu'au primaire, les élèves soient instruits par rapport à un bon usage d'Internet, notamment les outils numériques et les réseaux sociaux, ainsi qu'aux dérives et aux risques liés à ces outils. Selon le gouvernement, le "Permis Internet pour les enfants" est un programme national de prévention pour un usage d’Internet vigilant, sûr et responsable à l’attention des enfants de CM2 et de leurs parents. Par le biais de ce programme, environ 2 millions d'enfants seraient déjà sensibilisés.
Les enfants reçoivent une formation en rapport avec une utilisation responsable des outils et des ressources numériques qui comporte une éducation aux droits et aux devoirs liés à l'usage d'Internet et des réseaux, dont la protection de la vie privée et le respect de la propriété intellectuelle, de la liberté d'opinion et de la dignité de la personne humaine, ainsi qu'aux règles applicables aux traitements de données à caractère personnel. La formation participe aussi au développement de l'esprit critique, à la lutte contre la diffusion des contenus haineux en ligne et à l'apprentissage de la citoyenneté numérique.
Il y a en outre une sensibilisation sur l'interdiction du harcèlement commis dans l'espace numérique, la manière de s'en protéger et les sanctions encourues en la matière. Cependant, Laetita Avia, députée LREM, trouve que la formation est insuffisante et propose de la sanctionner à l'avenir par une attestation axée notamment sur les risques. Par ailleurs, la loi votée mardi autorise désormais une comparution immédiate en cas d'infractions au droit de la presse.
« Si l’on soumet ces prévenus à une comparution immédiate, la décision judiciaire pourra s’inscrire dans le temps rapide des réseaux sociaux. Si elle est prononcée suffisamment vite, la peine produira pleinement l’un de ses effets nécessaires, celui d’exemplarité, non pas seulement sur l’opinion publique, mais aussi sur la personne condamnée, qui songera : "J’ai commis une faute, j’ai été sanctionné ; je ne récidiverai pas." Une telle vertu pédagogique de la peine est importante », a expliqué Laetitia Avia.
Source : Projet de loi contre le séparatisme (PDF)
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