« Depuis des années, les Allemands ont fait les mauvais choix, en particulier sur l’énergie et la défense. Aujourd’hui, alors que tout change vite, la situation donne plutôt raison aux positions traditionnelles de la France. Cela est insupportable pour les Allemands qui veulent rester les patrons. Leur nomenlaktura militaro-diplomatique est braquée contre la France, bien plus d’ailleurs que la population », observe dans L’Opinion Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman.
Ces choix stratégiques qui crispent Paris
Pas d’amour sans preuve d’amour. Et au regard des derniers choix stratégiques opérés par Berlin, Paris a effectivement de quoi se sentir délaissée. Peu après le déclenchement de la guerre en Ukraine, l’Allemagne a annoncé la modernisation de son outil de Défense, via la création d’un fonds spécial de 100 milliards d’euros.
Perçu d’abord d’un bon œil depuis Paris, où on considère que la France ne pourra durablement assurer le rôle d’unique puissance militaire de l’UE, cet effort va vite décevoir. Et pour cause, les Allemands se sont principalement tournés vers les États-Unis pour s’équiper (notamment pour l’aviation), alors qu’Emmanuel Macron plaide de longue date pour une souveraineté européenne en matière de Défense, dans un contexte où l’Allemagne rechigne à passer la seconde concernant les projets industriels de défense franco-allemands, comme l’avion et le char du futur (Scaf et MGCS).
De quoi crisper Paris, qui comme un conjoint perçoit les premiers signes d’éloignement, a vu ses craintes se confirmer. Le 14 octobre, Olaf Scholz a lancé un projet de bouclier antimissile en s’alliant à 14 pays membres de l’Otan. Un dispositif équipé de matériels allemands, américains et israéliens, éloignant encore plus les projets de défense européenne promus par Emmanuel Macron. Ce qui, sans surprise, a été vécu comme une offense à Paris.
Relance et mauvaises manières
À ces divergences sécuritaires s’ajoutent des divisions sur le plan économique. Début octobre, l’Allemagne a annoncé — sans prévenir la France — un plan de soutien à son économie de 200 milliards d’euros face à la flambée des prix de l’énergie. Ce qui, là encore, a mal été perçu en France, où on pousse pour une plus importante solidarité européenne dans les réponses à apporter à la crise. Dans Les Échos, Emmanuel Macron, que l’on dit irrité d’avoir été mis devant le fait accompli, a lui-même critiqué le possible « effet déstabilisateur » que ce plan pourrait provoquer en Europe.
D’autant que cette relance, qui fait grimper les dépenses allemandes, intervient dans le pays le plus sévère à l’égard des déficits des autres membres de l’UE. En amont du Conseil européen de ce jeudi, le chef de l’État a publiquement haussé le ton à l’égard de Berlin, estimant qu’il « n’est bon ni pour l’Allemagne ni pour l’Europe qu’elle s’isole ». D’autant que d’autres divergences couvent, cette fois sur le plan sur de l’énergie.
Côté allemand, on considère que le nucléaire n’est pas une énergie d’avenir, alors que Paris estime au contraire qu’il est indispensable dans un mix énergétique visant à aboutir à une économie décarbonée. Deux approches opposées qui ont des conséquences, notamment sur le marché européen de l’électricité, sur lequel la France et l’Allemagne expriment leurs désaccords.
À Paris, on plaide pour un plafonnement du prix du gaz utilisé pour produire de l’électricité, ce que refuse Berlin qui — compte tenu de sa dépendance au gaz — y voit un risque d’approvisionnement, craignant qu’un prix maximum encourage les producteurs à se détourner du marché européen. Qu’à cela ne tienne, Emmanuel Macron a entrepris de négocier sur ce sujet avec les autres pays européens.
Résultat : des tensions qui s’accumulent et un couple qui enchaîne les disputes, si diplomatiques soient-elles. « La France est notre allié le plus proche » et « les relations sont tout à fait correctes », a commenté ce vendredi un porte-parole du gouvernement allemand lors d’une conférence de presse, alors qu’une réunion parlementaire réunissant les deux pays a (aussi) été annulée.
« Il y a eu beaucoup de spéculations ces derniers jours, mais beaucoup de choses sont dénuées de fondement », a assuré ce même porte-parole, comme pour relativiser la panne. Mercredi prochain, Emmanuel Macron recevra Olaf Scholz à Paris. L’occasion pour les deux responsables de se rabibocher, et de redonner une chance à une relation qui bat sérieusement de l’aile
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