L'Espagne introduit un "passeport porno" pour empêcher les enfants de regarder des films pornographiques en ligne
mais le système suscite des préoccupations en matière de protection de la vie privée
L'Espagne a dévoilé lundi une application appelée "Cartera Digital Beta" qui vise à aider les sites Web pornographiques à vérifier l'âge des utilisateurs. Les amateurs de films pornographiques seront invités à utiliser l'application pour vérifier leur âge. Une fois leur âge vérifié, ils recevront 30 "jetons d'accès" générés avec une validité d'un mois leur permettant d'accéder à des contenus pour adultes. Le système est hautement controversé, mais le gouvernement affirme que le modèle basé sur les crédits est plus respectueux de la vie privée, car elle garantit que les activités en ligne des utilisateurs ne peuvent pas être facilement tracées.
L'Espagne introduit un système de vérification de l'âge fortement controversé
L'Espagne vient de dévoiler son plan pour empêcher les enfants de regarder du porno en ligne : une application appelée Portefeuille numérique Beta (Cartera Digital Beta). Elle a été dévoilée lundi et est censée aider les sites Web pornographiques à vérifier si un spectateur potentiel de pornographie a plus de 18 ans. Les amateurs de pornographie seront invités à utiliser l'application pour vérifier leur âge. Une fois leur âge vérifié, ils recevront 30 "crédits pornos" valides pour une durée d'un mois leur permettant d'accéder à des contenus pour adultes. Les passionnés pourront demander des crédits supplémentaires.
Plus précisément, le passeport porno obligera les utilisateurs à s'identifier chaque fois qu'ils visiteront un site pornographique, et limitera leur utilisation à 30 fois sur une période de 30 jours. En outre, les utilisateurs autorisés ne pourront accéder au même site pornographique que trois fois au cours de cette période. L'objectif déclaré du nouveau portefeuille numérique est d'empêcher les enfants de moins de 18 ans d'être exposés à de la pornographie. L'Espagno serait en pourparlers avec les FAI espagnols, tels que Movistar et Vodafone, afin de bloquer les sites pornographiques qui refusent d'adhérer à ces mesures.
Le système sera disponible d'ici la fin de l'été. Il sera volontaire, car les plateformes peuvent s'appuyer sur d'autres systèmes de vérification de l'âge pour écarter les spectateurs qui ne sont pas admis. Elle préfigure une loi européenne qui entrera en vigueur en octobre 2027 et qui obligera les sites à empêcher les mineurs d'accéder à des contenus pornographiques. À terme, le passeport porno de Madrid devrait être remplacé par le système d'identité numérique de l'Union européenne (eIDAS2), un portefeuille qui permettra aux citoyens d'accéder à une multitude de services publics et privés dans l'ensemble de l'Union.
Selon une étude du Centro Reina Sofia, l'âge moyen auquel les enfants espagnols voient du matériel explicite pour la première fois est de 13 ans. « Nous agissons à l'avance et nous demandons aux plateformes de faire de même, car les enjeux l'exigent », a déclaré José Luis Escrivá, secrétaire d'État espagnol à l'Économie numérique, au journal espagnol El País. Bien que ce passeport porno ait été critiqué pour sa complexité, le gouvernement espagnol affirme que le modèle basé sur les crédits est beaucoup plus respectueux de la vie privée, garantissant que les activités en ligne des utilisateurs ne sont pas facilement traçables.
Cependant, cet avis est rejeté. « Il n'y a pas plus invasif que cela. Non seulement le gouvernement peut voir qui regarde du porno en fonction des personnes qui demandent ce passeport, mais il peut aussi savoir combien de porno les gens regardent en fonction du nombre de crédits qu'ils utilisent. Je doute que cela survive plus d'une semaine à l'examen de la législation européenne sur la protection de la vie privée », a déclaré un critique. Un autre écrit : « il faut donc demander la permission de regarder du porno tous les mois, et on ne peut obtenir qu'un certain nombre de jetons. Il y aura BEAUCOUP d'Espagnols frustrés ».
Un autre ajoute : « il ne s'agit pas d'une monnaie numérique permettant de payer le contenu des sites (ce qui serait en fait un moyen utile de soutenir financièrement les entreprises sans leur donner un accès direct à vos informations de carte de crédit). Il s'agit simplement d'un jeton d'accès dont l'utilisation est restreinte. Je suppose que le gouvernement estime qu'il devrait rationner l'accès des adultes aux services privés de tiers, à la manière d'un gardien à la Big Brother ».
Les experts alertent sur les abus potentiels des lois sur la vérification de l'âge
En effet, pour déterminer si les enfants et les adolescents accèdent réellement à ces sites, les plateformes n'ont d'autre choix que de vérifier l'âge de tous les utilisateurs accédant à leurs sites, qu'ils soient mineurs ou non. Les amateurs de pornographie adulte, qui pouvaient auparavant accéder à ces sites dans un relatif anonymat, peuvent désormais craindre de voir leur nom et leur photo d'identité à portée de main de leur dernière recherche sur Pornhub. Il est également possible que certains législateurs d'extrême droite et conservateurs sur le plan religieux interprètent les lois plus largement, ce qui aboutirait à des abus.
Ces législateurs pourraient décider d'y inclure le contenu des créateurs LGBTQ+ ou d'autres personnes appartenant à des groupes marginalisés qui comptent sur Internet pour avoir un sentiment d'appartenance à une communauté. Dans ce cas, les mineurs et adolescents issus de structures familiales abusives ou difficiles pourraient se retrouver exclus des structures de soutien en ligne. Dans certains États comme la Floride, les législateurs ont introduit des lois qui visent à limiter ou à interdire aux utilisateurs mineurs l'accès aux services de médias sociaux sous prétexte qu'ils causent des dommages sur le plan psychologique.
Aux États-Unis, sept États ont adopté une forme ou une autre de législation reposant sur la vérification de l'âge pour empêcher les mineurs d'accéder à du matériel pornographique. Les rapports sur ses projets de loi indiquent que presque tous sont des copies conformes d'une loi pionnière de la Louisiane, qui a été adoptée en 2022 et est entrée en vigueur au début de l'année dernière. La législation votée par la Louisiane a inspiré au moins 17 initiatives similaires, dont une poignée est en passe de devenir des lois. Au Texas, les contrevenants à la loi sont passibles d'une amende pouvant aller jusqu'à 10 000 dollars par jour.
En réponse à la réglementation stricte votée par le Texas, certains sites offrant du contenu pour adultes, dont Pornhub, ont choisi de bloquer les adresses IP provenant de l'État. Pornhub qualifie la loi sur la vérification de l'âge de "dangereuse". Dans un billet de blogue, Pornhub affirme : « étant donné que les logiciels de vérification de l'âge exigent des utilisateurs qu'ils fournissent des informations extrêmement sensibles, ils ouvrent la porte au risque de violation des données. Que vos intentions soient bonnes ou non, les gouvernements ont toujours eu du mal à sécuriser ces données ». Ce point de vue est largement partagé.
Pornhub n'a pas toujours adopté cette approche. La Louisiane a été le premier État à instaurer l'une de ces lois au début de l'année 2023. Dans un premier temps, Pornhub s'est conformé à la vérification de l'âge via l'application LA Wallet gérée par l'État, qui se connecte à la carte d'identité d'un résident de Louisiane. En d'autres termes, vous étiez légalement tenu de vérifier votre carte d'identité gouvernementale pour pouvoir regarder des vidéos pornographiques. Lorsque ces lois ont été étendues à d'autres États, Pornhub et les autres sites du groupe Aylo ont adopté une approche différente.
La mise en œuvre de la vérification de l'âge rencontre des difficultés en France
Dès 2018, Marlène Schiappa, alors secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, annonçait l'objectif de la France de rendre les contenus pornographiques inaccessibles aux enfants. Lors d'une déclaration sur Franceinfo, Schiappa annonçait son intention d'obliger les fournisseurs de contenus pornographiques à mettre en place des filtres pour empêcher l'accès aux enfants, ou du moins pour le rendre plus difficile. De plus, Schiappa affirmait que des mesures rigoureuses seraient prises en collaboration avec d'autres ministres concernés, tels que Jean-Michel Blanquer, Mounir Mahjoubi et Agnès Buzyn.
Ainsi, depuis juillet 2020, les sites pornographiques ne peuvent plus - du moins en théorie - se contenter d'une déclaration en un clic et doivent vérifier l'âge de leurs visiteurs. Selon les rapports, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) travaille sur le déploiement d'une stratégie de vérification de l'âge pour prévenir l'accès des mineurs aux sites pour adultes. Lors d'une interview accordée au Figaro, la présidente de l'organisation, Marie-Laure Denis, a évoqué différents dispositifs possibles pour vérifier l'âge des visiteurs, y compris un contrôle via la carte bancaire, que les sites concernés refusent souvent.
Elle n'exclut pas non plus l'utilisation d'un système d'analyse faciale. Mais malgré les solutions en phase d'expérimentation, aucun outil de vérification de l'âge n'est aujourd'hui adopté. L'année dernière, certains partisans de la loi sur la vérification de l'âge ont appelé le tribunal de Paris à bloquer l'accès aux sites pornographiques. Cela dit, le cabinet de Jean-Noël Barrot, alors ministre délégué au Numérique, a appelé les entreprises privées à se saisir du sujet et à proposer des solutions. Cet appel semble avoir été entendu puisque trois solutions de vérification de l'âge ont été proposées par trois entreprises du secteur privé.
Ces trois solutions sont : Docaposte, IN Groupe (en association avec Orange) et GreenBadg. Pour chacune de ces propositions, l'utilisateur s'appuiera sur une application mobile pour attester de son âge. Avec GreenBadg, lancée en 2022 par Jacky Lamraoui, il s'agit de réunir divers abonnements ou titres de transport. Après avoir téléchargé l'application, l'utilisateur fait la demande d'un "GreenBadg" en fournissant une pièce d’identité, vérifiée par AriadNext. Quant aux données, elles sont hébergées en France sur les serveurs de Clever Cloud. Une fois la pièce d’identité validée, un GreenBadg est délivré à l’usager pour trois ans.
En pratique, GreenBadg demande au visiteur d'un site pornographique de scanner un code QR depuis l'application en question. Cette dernière fait alors le lien avec la date de naissance affichée sur la carte d'identité enregistrée auparavant. La validation d'accès est ainsi transmise instantanément au site visité, qui déverrouille son contenu. Cependant, certains participants aux tests affirment que ces solutions sont loin d'être satisfaisantes.
« Les tests montrent qu'il y a encore beaucoup de chemin pour que ces solutions soient efficaces et adoptées par le grand public, avec une expérience utilisateur qui soit satisfaisante », a déclaré au journal Monde le président du groupe Dorcel, Grégory Dorcel.
La restriction de l'accès aux sites pornographiques favorise la demande de VPN
Le fonctionnement des sites Web pornographiques a été fortement troublé ces dernières années dans différentes régions du monde. Interdits aux mineurs, ces plateformes sont désormais tenues de vérifier rigoureusement l'âge d'un visiteur avant de lui accorder l'accès. Des réglementations de ce type ont été adoptées par plus d'une douzaine d'États des États-Unis, dont le Texas, l'Utah et la Louisiane, et de nombreux pays européens comme le Royaume-Uni et la France. L'objectif déclaré de ces législations est de s'assurer que les enfants et les adolescents n'accèdent pas à du "matériel sexuel préjudiciable aux mineurs" en ligne.
Bien que ces réglementations visent à interdire aux mineurs d'accéder à des contenus pour adultes, des groupes de défense comme l'Electronic Frontier Foundation ( EFF) et R Street s'opposent depuis longtemps aux contrôles de l'âge sur les sites parce qu'ils peuvent menacer la sécurité des données et l'anonymat ou conduire à certains abus. Pornhub et d'autres fournisseurs de vidéos pour adultes en ligne s'opposent également à ces législations. De leur côté, les utilisateurs des sites pornographiques se sont massivement tournés vers les services VPN dans le but d'échapper aux nouvelles règles et de conserver leur anonymat.
Selon les données du site Top10 VPN, la demande pour les applications VPN a bondi de 275 % le 15 mars, le jour même où Pornhub a coupé l'accès au Texas. Le site indique que la demande de VPN a également augmenté de 210 % le lendemain de l'entrée en vigueur d'une loi similaire en Louisiane l'année dernière. ExpressVPN, un autre fournisseur de VPN, rapporte qu'il avait constaté une augmentation du trafic sur son site le jour où les réglementations sur la pornographie et la vérification de l'âge en ligne sont entrées en vigueur dans certains États américains. Cette demande a augmenté d'environ 967 % dans l'Utah.
Simon Migliano, responsable de la recherche chez Top10 VPN, a déclaré : « partout où les législateurs américains ont imposé la vérification de l'âge des utilisateurs qui essayent d'accéder à des contenus pour adultes en ligne au cours des 12 derniers mois, il y a eu une tendance claire dans l'augmentation correspondante de la demande de VPN ». Dans le cas le plus extrême, il affirme que Top10 VPN a vu la demande pour son VPN augmenter de 847 % le jour où les nouvelles lois de l'État sont entrées en vigueur. Les utilisateurs considèrent que ces lois enfreignent leur droit à accéder à des informations de manière anonyme.
Le marché des services VPN également est en expansion en France avec une croissance des téléchargements plutôt soutenue. Le nombre de téléchargements de VPN en 2022 est presque 3 fois supérieur au nombre de téléchargements en 2020. Certains sites estiment la taille du marché des services VPN en France à 1 125 milliards de dollars en 2022. Selon une étude OpinionWay, les Français sont les troisièmes plus gros consommateurs au monde de contenus à caractère pornographique en ligne. Par ailleurs, l'étude de OpinionWay rapporte également qu'environ 62 % des mineurs de moins de 15 ans y ont déjà été exposés.
Source : Cartera Digital Beta
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La vérification de l'âge est-elle la seule solution possible contre l'accès des enfants aux contenus pornographiques en ligne ?
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