La Russie à l'origine d'une campagne d'infox visant à discréditer Emmanuel Macron tout en soutenant les dirigeants du RN Marine Le Pen et Jordan Bardella,
qui ont exprimé leur opposition à l'Ukraine
La France en proie à une campagne sophistiquée de désinformation orchestrée par la Russie. Cette campagne vise à discréditer le président Emmanuel Macron tout en soutenant les dirigeants d’extrême droite Marine Le Pen et Jordan Bardella. Les tactiques utilisées incluent des sites web factices, des bots sur les réseaux sociaux et des publicités trompeuses. Les experts en cybersécurité et les responsables français mettent en garde contre cette tentative coordonnée visant à saper la démocratie française.
Emmanuel Macron achète des voix pour 100 euros. Elton John affirme que l'UE est en train de s'effondrer. Beyoncé pense que le président français est une marionnette. L'extrême droite aidera la France à retrouver son indépendance. Selon des responsables français et des experts en cybersécurité, il ne s'agit là que de quelques-uns des récits et des fausses affirmations diffusés par le réseau de désinformation complexe de la Russie quelques jours avant les élections législatives de dimanche en France.
L'analyse d'une série de sources révèle une campagne de désinformation coordonnée qui a sali M. Macron, tout en promouvant les leaders eurosceptiques d'extrême droite Marine Le Pen et Jordan Bardella, qui ont exprimé leur opposition à l'Ukraine.
Divers outils utilisés par la Russie pour diffuser sa propagande ont été identifiés, allant de faux sites web et des bots X/Twitter diffusant de faux récits, à des publicités X et Facebook qui ont été utilisées pour diffuser de fausses affirmations sur Macron. Cette désinformation est souvent reprise par les médias d'État russes et même promue par les ambassades russes, dans une tentative coordonnée de saper la démocratie française.
Passer par de faux sites web se faisant passer pour des sources d'information légitimes
L'une des tactiques utilisées par la Russie consiste à créer de faux sites web se faisant passer pour des sources d'information légitimes, afin de désinformer les électeurs britanniques, américains et français.
Un site web se faisant passer pour le journal français Le Point, sous une URL similaire, a publié un article affirmant que l'OTAN empêchait la France de devenir une puissance mondiale et qu'une « victoire de l'opposition » aiderait la France à retrouver son indépendance.
🧵 In several episodes, pro-Kremlin Doppelgänger bots are already assuming that National Rally, Marine Le Pen's far right party, will be in charge of the French government's policy
— bot blocker | блокировщик ботов (@antibot4navalny) July 2, 2024
📢 Fake @LePoint (and 🤖 bots): time to prepare to leave NATO
1/ pic.twitter.com/AZGt7DKFwsL'affirmation a ensuite été diffusée sur X par le réseau de bots russes du président Vladimir Poutine, selon Bot Blocker/Anti-bot for Navalny, une organisation qui dénonce les attaques russes sur les médias sociaux.🤖: Le Pen plans to limit Macron's decisions on Ukraine. Record support for RN 2 days before the elections.
— bot blocker | блокировщик ботов (@antibot4navalny) July 2, 2024
(Don't ask why 2 days: perhaps they released content prematurely?)
4/ pic.twitter.com/HSpDiXBHam
Le message X affirme que Le Pen refusera de permettre à Macron de déterminer la stratégie pour l'Ukraine et les questions de défense.
Un autre faux site web se faisant passer pour le journal français Le Parisien affirme que Bardella et le RN (parti du Rassemblement national) « veulent restaurer l'indépendance de la France », tandis que « Macron livre la France aux mondialistes pro-américains », ajoutant : « Jordan Bardella propose un retour aux origines de la souveraineté ».
Mais ces sites ne se contentent pas d'exprimer leur soutien à l'extrême droite,🧵 How could Kremlin forget about National Assembly snap elections in France? It has not! And fake clone of @le_Parisien is there to help.
— bot blocker | блокировщик ботов (@antibot4navalny) June 27, 2024
Similarly, it helps Bardella/RN to promote isolationism, sovereignty and other "divide and conquer" that Kremlin so much loves.
1/ pic.twitter.com/cfw2l9Oo5b
Ils diffusent activement des informations erronées sur Macron. Un faux site web imitant le parti du président, Ensemble, a prétendu que lui et son parti achetaient des voix pour 100 euros en vue des élections anticipées. Baptisé FranceEnColere, le site a diffusé la désinformation dans le cadre de ce que les experts appellent une tentative de « blanchiment narratif », c'est-à-dire lorsque la Russie tente de faire remonter des fake news dans ses médias grand public.
Ce site appartient à un réseau de faux médias pro-Kremlin géré par John Dougan, un ancien marine américain à qui l'État russe a accordé l'asile, selon EUvsDisinfo.
Dougan serait à la tête d'un réseau de 167 sites web de fake news en langue anglaise pour le compte d'une opération d'ingérence russe précédemment financée et supervisée par un ancien proche de Poutine, Evgeniy Prigozhin, le chef du groupe mercenaire Wagner tué dans un accident d'avion au mois d'août dernier.
Le réseau a des liens avec le projet Lakhta, une opération d'ingérence russe précédemment financée et supervisée par Prigozhin, qui cible les États-Unis, l'Europe et l'Ukraine, selon NewsGuard - une équipe qui surveille la désinformation - citant les services de renseignement européens et un rapport du département du Trésor des États-Unis. La fake news diffusée par le site russe de fausses nouvelles a ensuite été diffusée par les canaux russes de Telegram, avant d'être distribuée par des bots russes sur X, selon Bot Blocker.
L'affirmation est ensuite apparue sur News Front News, un site d'information lié aux services de sécurité russes et au financement du Kremlin, selon le rapport du département d'État américain.
La Russie soutient les candidats d'extrême droite parce qu'ils « sont polarisants et provoquent la division »
Selon les chiffres de Bot Blocker, 108 articles provenant d'opérations d'influence pro-russes ont ciblé la France depuis les élections européennes de début juin, 63 fois mentionnant Macron et 59 fois le dépeignant de manière négative, tandis que le Rassemblement national, Le Pen et Bardella ont été mentionnés 62 fois, mais jamais dans un contexte négatif.
Anna George, qui étudie la désinformation en ligne à l'Oxford Internet Institute, a déclaré que la Russie soutenait les candidats d'extrême droite parce qu'ils « sont polarisants et provoquent la division ». « Ces candidats ont tendance à être anti-establishment et peut-être espère-t-elle que ces candidats seront plus ouverts à des conversations avec elle que d'autres candidats qui pourraient avoir une position plus dure à l'égard de la Russie ».
Cette affaire fait suite à la découverte de cinq comptes X qui auraient diffusé des « récits du Kremlin » et soutenu le leader du parti Reform UK, Nigel Farage. Selon l'enquête, les autorités russes ont créé des bots pour inciter à la haine, populariser les théories du complot et « faire l'éloge » de Poutine auprès du public britannique.
La désinformation semble également s'être propagée à X par le biais de publicités, ce qui soulève des questions sur l'incapacité des entreprises de médias sociaux à lutter contre l'influence de la Russie sur les élections.
L'herbe n'est pas plus verte du côté de Facebook
Parallèlement, Meta, la société mère de Facebook, a approuvé et diffusé sur des milliers de comptes français des publicités appelant à voter pour des candidats d'extrême droite, avec des récits xénophobes et anti-UE, qui renvoyaient également à des domaines usurpés se faisant passer pour des médias d'information, d'après AI Forensics.
Paul Bouchaud note : « Après avoir publié son rapport sur les menaces adverses mercredi, Meta a approuvé la diffusion de nouvelles publicités de propagande pro-russe jeudi, qui renvoient à des domaines usurpés se faisant passer pour des médias d'information. Aucune mesure systémique ne semble avoir été mise en œuvre pour modérer les publicités politiques »
Un autre aspect de cette guerre en ligne menée par les robots pro-russes est le partage d'images avec de fausses citations de célébrités. Selon les robots russes, Taylor Swift a qualifié les prochains Jeux olympiques en France de projet politique et honteux, Beyoncé a déclaré que Macron était une marionnette contrôlée par d'autres pays et Elton John pense que « l'UE est en train de s'effondrer ».After publishing its Adversarial Threat Report on Wednesday, Meta approved new pro-Russian propaganda ads to run on Thursday, which linked to spoofed domains impersonating news media. No systemic measures appear to have been implemented to moderate political advertisements pic.twitter.com/BPWCNzWOMH
— Paul Bouchaud (@P_Bouchaud) June 1, 2024
Si ces affirmations sont ridicules, les tentatives de la Russie de semer le mécontentement vont au-delà du monde en ligne. Les agences de sécurité européennes pensent que des actes de sabotage ont été perpétrés sur tout le continent par les services de renseignement russes avant d'être amplifiés par l'armée de robots de Poutine.
Selon les experts, les tactiques de désinformation russes consistent à inonder l'écosystème de l'information de nombreux récits, même contradictoires, afin de semer la confusion. Si Moscou a souvent tenté de dissimuler de tels actes, elle a, ces derniers jours, affiché publiquement son soutien à l'extrême droite. « Le peuple français cherche une politique étrangère souveraine qui serve ses intérêts nationaux et une rupture avec le diktat de Washington et de Bruxelles », a écrit mercredi le ministère russe des affaires étrangères dans un message sur les réseaux sociaux, accompagné d'une photo de Le Pen.
Sources : Bot Blocker, archive de France en Colère, Gnida Project, NewsGuard (1, 2), Preuves à l'appui : Campagnes publicitaires pro-russes approuvées par Meta du 1er au 27 mai 2024 en Italie, en Allemagne et en France💬 #Nastasin: The people of France are seeking a sovereign foreign policy that serves their national interests & a break from the dictate of Washington & Brussels.
— MFA Russia 🇷🇺 (@mfa_russia) July 3, 2024
☝️ French officials won’t be able to ignore these profound shifts in the attitudes of the vast majority of citizens pic.twitter.com/4gCRBLayPP
Et vous ?
Quelle est la responsabilité des plateformes de médias sociaux ? Devraient-elles être plus actives dans la lutte contre la propagation de fausses informations ? Comment pourraient-elles améliorer leurs politiques et leurs algorithmes pour minimiser l’impact des campagnes de désinformation ?
Comment pouvons-nous éduquer les citoyens sur la détection des fake news ? Quelles stratégies pourraient être mises en place pour renforcer la littératie médiatique et aider les gens à discerner les informations fiables des fausses ?
Quels sont les risques pour la démocratie lorsque la désinformation est utilisée comme arme politique ? Comment pouvons-nous protéger nos institutions démocratiques contre ces attaques ?
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