La Chambre des représentants du Texas présente un projet de loi visant à créer une réserve stratégique de bitcoins.
La crypto ayant des fluctuations massives, si le prix chute, les pertes pourraient peser lourdement sur les finances publiques
Le Texas, souvent perçu comme un État pionnier en matière d’innovation et d’autonomie économique, franchit une nouvelle étape avec un projet de loi visant à créer une « réserve stratégique de Bitcoin ». Cette initiative, introduite à la Chambre des représentants du Texas, reflète une ambition claire : positionner l’État comme un acteur majeur dans l’économie des cryptomonnaies. Mais derrière cette idée novatrice se cachent des interrogations sur les risques, la gouvernance et la durabilité de cette stratégie.
Un pari sur l’avenir numérique
Les partisans du projet de loi voient dans cette initiative une opportunité unique. En adoptant le Bitcoin comme actif stratégique, le Texas cherche à diversifier ses réserves financières, traditionnellement dominées par des devises fiat ou des investissements traditionnels. Pour un État déjà considéré comme un épicentre de l’industrie des cryptomonnaies – grâce à ses faibles taxes, sa réglementation favorable et son abondance en énergie – cette décision s’inscrit dans une logique d’avant-garde économique.
Les défenseurs soulignent également la résilience du Bitcoin face à l’inflation et aux fluctuations des devises traditionnelles. Dans un contexte économique global incertain, où les dettes publiques augmentent et où la valeur des monnaies fiduciaires est contestée, le Bitcoin pourrait représenter un refuge numérique pour préserver la richesse de l’État.
Un projet de loi controversé ?
La Chambre des représentants du Texas a adopté jeudi un projet de loi visant à créer une réserve stratégique de bitcoins, qui pourrait servir de terrain d'expérimentation pour le Trésor américain. Le projet de loi proposé permettrait à l'État de commencer à constituer une réserve stratégique de bitcoins en acceptant des impôts, des taxes et des dons en bitcoins qui seraient conservés pendant au moins cinq ans, a annoncé jeudi le représentant républicain de l'État, Giovanni Capriglione, lors d'un événement organisé par X Spaces.
Le projet de loi texan vise à renforcer la stabilité fiscale de l'État et à en faire un leader de l'innovation en matière de bitcoins, selon le Satoshi Action Fund, un groupe de défense des bitcoins à but non lucratif qui a travaillé avec Capriglione sur le projet de loi.
« L'inflation est probablement le plus grand ennemi de nos investissements », a déclaré Capriglione. « Une réserve stratégique de bitcoins, investissant dans le bitcoin, serait une solution gagnante pour l'État. Je viens de déposer un projet de loi intitulé "Loi relative à la création d'une réserve de bitcoins au sein de la trésorerie de l'État du Texas et à la gestion des crypto-monnaies par les entités gouvernementales" », a-t-il déclaré plus tard.
Le Texas possède la plus forte concentration de mineurs de bitcoins du pays. L'espoir est que certains d'entre eux commencent à payer leurs impôts en crypto-monnaies. La proposition initiale ne prévoit pas de stratégie d'achat direct de bitcoins.
« Mon objectif est de rendre ce projet de loi le plus important et le plus large possible », a déclaré Capriglione. « Cette étape initiale vise à permettre une certaine flexibilité, mais si je suis en mesure d'obtenir le soutien d'autres législateurs, nous le rendrons encore plus fort. »
Le battement de tambour pour une réserve stratégique nationale de bitcoins (l'une des promesses de campagne du président élu Donald Trump en faveur des crypto-monnaies) s'est intensifié depuis l'élection. Le bitcoin s'est redressé de plus de 45 %, les investisseurs espérant que la création d'une telle réserve fera encore grimper son prix.
Des risques financiers et politiques majeurs
Cependant, l’idée d’une réserve stratégique en Bitcoin n’est pas sans controverse. Premièrement, la volatilité inhérente au Bitcoin constitue une préoccupation majeure. Contrairement à l’or, qui reste relativement stable, le Bitcoin est sujet à des fluctuations massives, comme en témoignent ses variations spectaculaires de prix au cours des dernières années. Si le prix chute, les pertes pourraient peser lourdement sur les finances publiques.
Deuxièmement, la régulation des cryptomonnaies est encore embryonnaire et sujette à de possibles restrictions futures, tant au niveau fédéral qu’international. Une telle incertitude réglementaire expose le Texas à des risques juridiques et économiques imprévus. Enfin, l’adoption du Bitcoin comme actif stratégique pourrait alimenter des tensions politiques, en particulier avec un gouvernement fédéral plus sceptique sur les cryptomonnaies.
Un symbole politique et idéologique
Au-delà des considérations économiques, ce projet de loi reflète également une posture idéologique forte. Le Bitcoin, souvent associé à l’idée de décentralisation et de souveraineté individuelle, s’aligne avec la philosophie texane d’indépendance et de défiance vis-à-vis du pouvoir central. En embrassant cette technologie, le Texas envoie un signal clair : il veut être maître de son avenir économique, indépendamment des politiques fédérales ou des dynamiques financières traditionnelles.
Un futur incertain
Bien que l’idée d’une réserve stratégique en Bitcoin soit audacieuse, elle s’accompagne de défis complexes. Si le projet réussit, il pourrait propulser le Texas comme modèle pour d’autres États ou même des pays cherchant à intégrer les cryptomonnaies dans leurs stratégies financières. Mais en cas d’échec, les conséquences pourraient être désastreuses, tant sur le plan économique que politique.
Pour l’heure, ce projet de loi illustre un dilemme clé de notre époque : comment les gouvernements doivent-ils naviguer dans un monde où les technologies disruptives redéfinissent les normes économiques et sociales ? Une chose est certaine : en misant sur le Bitcoin, le Texas joue gros, et le monde entier observe attentivement.
L'exemple du Salvador, une illustration des échecs de l'intégration des cryptomonnaies dans les systèmes financiers ?
Début septembre 2021, le Salvador est devenu le premier pays au monde à faire du bitcoin une monnaie officielle. Avec cette nouvelle monnaie, le gouvernement laissait entendre que les Salvadoriens vivant à l’étranger pourraient envoyer de l’argent sans payer les frais énormes de transfert d’argent qui représentaient alors plus de 24 % du produit intérieur brut du pays, selon les chiffres de la Banque mondiale. Suite à cette annonce, le gouvernement a fait installer des dizaines de distributeurs automatiques de bitcoins dans le pays (et à l'étranger) et a mis à la disposition des Salvadoriens un portefeuille numérique du nom de Chivo afin de faciliter les transactions.
Fin septembre de la même année, le président salvadorien a déclaré que le portefeuille comptait 2,1 millions d'utilisateurs actifs. Selon la Fondation salvadorienne pour le développement économique et social, un mois après le lancement, 12 % des consommateurs auraient utilisé la cryptomonnaie. « Depuis hier, les Salvadoriens insèrent plus d'argent liquide pour acheter du bitcoin que ce qu'ils retirent des distributeurs automatiques. C'est très surprenant si tôt dans le jeu », a tweeté Bukele. Toutefois, la Fondation a réalisé une enquête à cette période et a constaté que l'utilisation globale était encore faible, 93 % des entreprises déclarant ne pas effectuer des paiements en bitcoins.
Certaines mesures ont révélé que l'adoption dans le pays, où un cinquième des familles dépend des transferts de fonds, a été rapide. Le président salvadorien Nayib Bukele a déclaré que trois millions de personnes avaient téléchargé Chivo, soit 500 000 de plus que l'objectif initial et environ la moitié de la population du pays.
Les choses ne se sont pas déroulées comme prévu, cependant. Le lancement de Chivo a été en proie à des problèmes de fonctionnalité et de sécurité.
Quelques mois plus tard, une étude du Bureau national de la recherche économique, consacrée au portefeuille Bitcoin du gouvernement du Salvador, indique que la majorité des usagers cessent de l’utiliser une fois le bonus en BTC récupéré : « La plupart des utilisateurs qui ont utilisé Chivo après avoir dépensé les 30 dollars de bonus n’interagissent pas beaucoup avec l’application. L’utilisateur moyen n’a pas effectué de retrait aux distributeurs, et aucun paiement n’a été envoyé ou reçu depuis un mois ». Publiée durant le mois d'avril 2022, l'étude faisait partie des premiers efforts non gouvernementaux approfondis pour quantifier le succès de la poussée nationale de la cryptomonnaie du pays.2.1 million Salvadorans are ACTIVELY USING @chivowallet (not downloads).
— Nayib Bukele (@nayibbukele) September 25, 2021
Chivo is not a bank, but in less than 3 weeks, it now has more users than any bank in El Salvador and is moving fast to have more users that ALL BANKS IN EL SALVADOR combined.
This is wild!#Bitcoin🇸🇻
Le portefeuille du gouvernement du Salvador avait aussi pour ambition de permettre aux citoyens établis à l’étranger de faire transiter des fonds vers le pays de manière souple et peu onéreuse. Une part non négligeable du PIB du pays est en effet basé sur ces envois de la part de la diaspora.
Pourtant, selon le rapport de l'organisation à but non lucratif basée à Cambridge, Massachusetts, cette mission n'a pas été couronnée de succès : « Au premier trimestre 2022, nous ne voyons quasiment pas de nouveaux utilisateurs, et la part des envois transfrontaliers en Bitcoin est à son point le plus bas depuis le lancement de Chivo. »
Le bitcoin a consommé plus de 134 TWh en 2021, ce qui est comparable à l'énergie électrique consommée par un pays comme l'Argentine
Selon les données révélées par Digiconomist, en 2021, Bitcoin était responsable de 0,54 % de la consommation mondiale d'électricité. Il a consommé 134 TWh d'énergie, ce qui équivaut à la consommation annuelle de l'Argentine. Les estimations moyennes chiffrent à 1 386 KWh la consommation d'une transaction Bitcoin, ce qui permettrait de fournir de l'énergie à un foyer américain pendant au moins un mois et demi.
Mais la consommation d'énergie élevée n'est qu'un des problèmes : l'empreinte carbone d'une seule transaction Bitcoin est de 658 kg de CO2, ce qui équivaut à l'empreinte carbone d'environ 1,5 million de transactions VISA.
Sources : projet de loi, Satochi Action Fund
Et vous ?
Quels seraient les mécanismes concrets pour limiter les pertes en cas de chute brutale du cours du Bitcoin ?
Le Bitcoin est souvent considéré comme un actif spéculatif. Est-il vraiment adapté à une réserve stratégique étatique ?
La volatilité du Bitcoin pourrait-elle être compensée par des investissements diversifiés en d’autres cryptomonnaies ou actifs numériques ?
Ce projet est-il un simple test ou une stratégie à long terme pour redéfinir le rôle des actifs numériques dans la finance publique ?
Quelles leçons les décideurs peuvent-ils tirer d’autres pays ayant déjà intégré les cryptomonnaies dans leur système financier, comme El Salvador ?
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