L’Avenir de la GPLv3 en Suspens : la Software Freedom Conservancy Soumet un Mémoire d’Amicus Curiae dans l’Affaire Neo4j vs PureThink,
son issue pourrait marquer un tournant pour l'avenir des logiciels libres

Une bataille juridique de plusieurs années, largement passée sous le radar, pourrait bien marquer un tournant décisif pour l'avenir de la GPLv3, avec des répercussions profondes sur l'écosystème des logiciels libres. Au cœur de ce débat se trouve la question de savoir si les concédants de licence peuvent imposer des « restrictions supplémentaires » aux logiciels libres, une pratique qui risquerait de saper les droits fondamentaux des utilisateurs et des développeurs garantis par les licences AGPLv3, GPLv3 et LGPLv3.

La Software Freedom Conservancy (SFC) a soumis un mémoire d’amicus curiae dans l’affaire en cours Neo4j contre PureThink, actuellement en appel devant la Cour d’appel des États-Unis pour le neuvième circuit. Cette affaire porte sur un enjeu central : le droit d’un licencié en aval, en vertu de la licence publique générale Affero version 3 (AGPLv3) (ainsi que des droits similaires prévus par la GPLv3 et la LGPLv3), de supprimer les « restrictions supplémentaires », même lorsque celles-ci ont été imposées par les concédants de licence d’origine. La SFC est fière de défendre ce droit fondamental, essentiel au principe du copyleft, et semble être la seule organisation à avoir déposé un mémoire d’amicus curiae dans cette affaire.


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Bien que le procès en première instance ait abordé de multiples questions, le mémoire de la SFC se concentre sur un point crucial : le droit inaliénable des titulaires de licences – qu’ils agissent à des fins commerciales ou non commerciales – de supprimer les restrictions supplémentaires ajoutées par Neo4j. Ce droit est clairement inscrit dans l’AGPLv3 et constitue une protection essentielle pour garantir la liberté des utilisateurs et des développeurs dans l’écosystème des logiciels libres.
Cette affaire, actuellement portée devant la Cour d'appel des États-Unis, pourrait établir un précédent dangereux, menaçant la capacité à démanteler les restrictions propriétaires dans les logiciels sous licence copyleft.

Pourquoi le Copyleft est essentiel pour les développeurs et les utilisateurs

Le copyleft est une méthode visant à garantir qu’un programme (ou toute autre œuvre) reste libre, en exigeant que toutes les versions modifiées ou étendues de ce programme soient également libres.

La façon la plus simple de rendre un programme libre est de le placer dans le domaine public, sans protection par le droit d’auteur. Cela permet à chacun de partager le programme et ses éventuelles améliorations, selon son bon vouloir. Cependant, cette approche présente un risque : des personnes malintentionnées peuvent modifier le programme, même légèrement, et le redistribuer sous forme de logiciel privateur (propriétaire). Dans ce cas, les utilisateurs de la version modifiée perdent la liberté que l’auteur original leur avait accordée. L’intermédiaire, en privatisant le logiciel, prive les utilisateurs de cette liberté.

Le copyleft résout ce problème en imposant une règle claire : quiconque redistribue un logiciel, qu’il soit modifié ou non, doit également transmettre la liberté de le copier et de le modifier. Ainsi, le copyleft garantit que cette liberté est préservée pour tous les utilisateurs, maintenant intacte l’intention originelle de l’auteur. Au-delà de protéger les libertés des utilisateurs, le copyleft encourage les programmeurs à contribuer à l’écosystème des logiciels libres. Par exemple, des outils essentiels comme le compilateur C++ de GNU n’existeraient pas sans cette approche. Le copyleft incite les développeurs à enrichir le patrimoine des logiciels libres, en assurant que leurs contributions resteront accessibles et modifiables par tous.

Enfin, le copyleft joue un rôle crucial pour les programmeurs souhaitant contribuer à des projets libres tout en travaillant pour des entreprises ou des universités axées sur le profit. Un développeur peut avoir envie de partager ses améliorations avec la communauté, mais son employeur pourrait chercher à les exploiter pour créer un produit privateur. Le copyleft offre un cadre légal qui protège ces contributions, permettant aux programmeurs de concilier leurs aspirations personnelles avec les contraintes professionnelles, tout en préservant la liberté du logiciel.

La bataille pour le Copyleft : enjeux et défis de la GPLv3

Malgré son importance cruciale, cette affaire a suscité peu d'attention publique, laissant la Software Freedom Conservancy (SFC) jouer un rôle central dans la défense des principes de la liberté des logiciels. En déposant un mémoire d'amicus curiae, la SFC a vivement critiqué la décision du tribunal de première instance, soulignant les risques que cette décision fait peser sur l'équilibre des droits entre concédants de licence et utilisateurs.

Cependant, certains observateurs ont pointé du doigt le manque de clarté dans la présentation des enjeux, notamment l'absence d'informations sur les parties impliquées et le recours à un mémoire d'amicus curiae plutôt qu'à une analyse directe de l'affaire. Ces lacunes pourraient limiter l'impact du plaidoyer de la SFC, notamment auprès des juges chargés de trancher ce litige complexe.

La version 3.0 de la licence publique générale GNU (GPL v3), introduite en 2007 pour remplacer la GPL v2 publiée en 1991, est une licence copyleforte. Cela signifie que toute copie ou modification du code source original doit être distribuée sous les mêmes conditions, assurant ainsi que le logiciel reste libre et open source pour tous les utilisateurs. Lorsqu'un projet incluant du code sous licence GPL v2 ou v3 est distribué, les principales obligations sont les suivantes :

  1. Inclure une copie complète du texte de la licence ainsi que les mentions de copyright ;
  2. Fournir l'accès au code source complet de l'œuvre originale ou dérivée.

De plus, la GPL v3 introduit une clause dite « anti-tivoïsation », qui oblige les fabricants à fournir aux utilisateurs toutes les informations et outils nécessaires pour mettre à jour ou réinstaller le logiciel sur leurs appareils. Cette clause vise à empêcher les pratiques de verrouillage matériel, comme celles employées par Tivo, une entreprise qui utilisait du code sous GPL v2 dans ses enregistreurs vidéo numériques tout en imposant des restrictions empêchant les utilisateurs d'installer des versions modifiées du logiciel. La GPL v3 garantit ainsi que les utilisateurs conservent la liberté de modifier et de réinstaller le logiciel sur leurs appareils.

La GPL v3 inclut également des dispositions spécifiques concernant les brevets, empêchant les entreprises d'utiliser leurs droits de brevet pour limiter les libertés accordées par la licence. Enfin, elle traite des cas de violation de la licence en offrant un délai de grâce pour corriger les infractions, contrairement à la GPL v2 où les droits cessent immédiatement en cas de violation. Ces améliorations renforcent la protection des libertés des utilisateurs et des développeurs.

Alors que la communauté des logiciels libres reste divisée sur les mérites respectifs des licences GPLv2, GPLv3 et Apache, cette affaire soulève des questions plus larges sur l'avenir du copyleft et la préservation des libertés numériques. L'issue de ce procès pourrait non seulement influencer l'évolution des licences libres, mais aussi révéler les tensions persistantes entre les modèles de gouvernance collaborative et les logiques propriétaires. Dans un contexte où les débats idéologiques autour du communisme, du socialisme et du capitalisme continuent d'influencer les perceptions des licences libres, cette affaire juridique pourrait bien devenir un symbole des luttes pour la liberté dans l'ère numérique.

Neo4j : entre open source et licences commerciales, un modèle hybride

Neo4j a ajouté la clause non libre appelée « Commons Clause » à la fin du texte intégral et non modifié de l'AGPLv3, y compris son préambule original, pour créer ce qu’ils ont nommé la « Licence Logicielle Neo4j Sweden ». Il n’y avait aucun doute sur le fait que cette « Commons Clause » constituait une « restriction supplémentaire » pouvant être supprimée conformément à l’article 7, paragraphe 4 de l’AGPLv3. Cependant, Neo4j a soutenu (et le tribunal de première instance a accepté cet argument) que ce droit entrait en conflit avec l’article 10, paragraphe 3 de l’AGPLv3, qui interdit aux licenciés d’ajouter des « restrictions supplémentaires ».
Neo4j est un système de gestion de base de données au code source libre basé sur les graphes, développé en Java par la société Neo technology. Le produit existe depuis 2000, la version 1.0 est sortie en février 2010. Neo4j propose deux éditions principales de sa base de données orientée graphe, chacune adaptée à des besoins spécifiques et disponible sous des licences distinctes.

Neo4j Community Edition est une solution open source complète, reconnue comme l’une des meilleures bases de données de graphes disponibles. Elle est distribuée sous la licence GPL v3, ce qui permet une utilisation gratuite dans vos projets, que ce soit dans le cloud ou en local, derrière un pare-feu. Que vous développiez une application open source ou propriétaire, vous êtes libre d’utiliser Neo4j Community Edition dès lors que la base de données fonctionne au sein de votre organisation ou sur un appareil personnel. Cette édition est idéale pour les projets où la flexibilité et l’accès gratuit sont prioritaires.

Neo4j Enterprise Edition, quant à elle, est conçue pour les déploiements commerciaux à grande échelle, où la performance, la disponibilité et le support professionnel sont essentiels. Pour répondre à différents besoins, Neo4j propose plusieurs options de licence pour l’édition Enterprise :

  • Licence commerciale : Destinée aux projets propriétaires, cette licence est accessible via un abonnement. Elle permet d’utiliser Neo4j Enterprise dans des applications à code source fermé et inclut un support technique de haut niveau ainsi qu’une assistance commerciale personnalisée ;
  • Licence développeur : Gratuite après enregistrement, cette licence est intégrée à Neo4j Desktop, un outil central pour les développeurs. Elle permet d’utiliser Neo4j Enterprise sur une machine locale pour le développement d’applications, offrant ainsi un environnement complet pour créer et tester des solutions basées sur Neo4j ;
  • Licence d’évaluation : Pour ceux qui souhaitent explorer les fonctionnalités avancées de Neo4j Enterprise, une licence d’évaluation est disponible. Elle offre un accès complet à l’édition Enterprise pour une période d’essai, idéale pour évaluer son adéquation à des projets commerciaux. Cette option inclut souvent l’accompagnement d’un expert Neo4j pour faciliter la prise en main et garantir une évaluation efficace.

En résumé, Neo4j Community Edition est parfaite pour les projets open source ou internes, tandis que Neo4j Enterprise Edition, avec ses différentes options de licence, répond aux besoins des entreprises cherchant à déployer des solutions robustes, évolutives et soutenues par un support professionnel.

Neo4j a également avancé (et le tribunal a suivi ce raisonnement) que, puisque l’article 10, paragraphe 3 ne mentionnait pas explicitement les concédants de licence, ces derniers devaient avoir le droit implicite d’ajouter des « restrictions supplémentaires », et que ce droit implicite primait sur le droit explicite des licenciés de supprimer ces restrictions en vertu de l’article 7, paragraphe 4.

Liberté logicielle en péril : les arguments de la SFC contre Neo4j

Le mémoire d’amicus curiae déposé par la Software Freedom Conservancy dans cette affaire soutient que le tribunal de première instance a commis une erreur en adoptant l’interprétation de Neo4j concernant les articles 7 et 10 de l’AGPLv3. Neo4j ayant intégralement inclus le texte de l’AGPLv3, y compris son article 7 et son préambule, les licenciés étaient pleinement en droit de se conformer aux termes de la licence, tels qu’éclairés par le préambule, et de supprimer la clause de restriction ajoutée. Le mémoire de la SFC propose une analyse juridique détaillée, dans l’espoir de convaincre la Cour d’appel de défendre les principes de la liberté logicielle et des droits des utilisateurs, essentiels au cadre du copyleft.

Cependant, bien que la rédaction d’un mémoire d’amicus curiae représente un effort considérable, la Cour d’appel n’est pas tenue de lui accorder une importance particulière. Malgré cela, la SFC espère que la Cour, ainsi que d’autres organisations, prendront en compte son plaidoyer sur cette question cruciale. Les dispositions des articles 7, paragraphe 4, et 10, paragraphe 3 de l’AGPLv3 se retrouvent également dans d’autres licences GPL. Si l’interprétation du tribunal de première instance est confirmée en appel, cela pourrait bouleverser la compréhension de la communauté quant à la manière dont les « restrictions supplémentaires » (au-delà de la seule « Commons Clause ») peuvent être ajoutées ou supprimées, ainsi que les conditions encadrant ces actions.

L’amicus curiae désigne une personne ou une entité que la juridiction peut consulter de manière informelle pour obtenir des éclaircissements sur des points spécifiques, tels que les termes d’un usage local ou d’une règle professionnelle non écrite. Contrairement à un témoin ou à un expert, l’amicus curiae n’est pas soumis aux règles de récusation et son rôle est purement consultatif. Il vise à fournir des informations utiles pour éclairer la décision de la juridiction, sans engager de procédure formelle.

La communauté du libre confrontée à un tournant décisif

L'affaire juridique en cours concernant la GPLv3 et les potentielles « restrictions supplémentaires » imposées par les concédants de licence représente un enjeu crucial pour l'écosystème des logiciels libres. Si cette bataille juridique est passée relativement inaperçue, ses implications pourraient être profondes, voire transformatrices, pour l'avenir du copyleft et des libertés numériques. La décision de la Cour d'appel des États-Unis pour le neuvième circuit pourrait établir un précédent risquant de fragiliser les droits des utilisateurs et des développeurs, en permettant des pratiques qui contournent les principes fondamentaux des licences comme la GPLv3, l'AGPLv3 et la LGPLv3.

Cependant, la manière dont cette affaire est traitée soulève des questions. Le recours à un mémoire d'amicus curiae par la Software Freedom Conservancy, bien que pertinent, semble insuffisant pour clarifier les enjeux complexes de ce litige. L'absence d'informations détaillées sur les parties impliquées et les spécificités de l'affaire pourrait limiter la compréhension des juges et, par extension, l'impact du plaidoyer de la SFC. Une présentation plus directe et transparente des faits aurait sans doute renforcé la crédibilité et l'efficacité de leur argumentation.

Par ailleurs, cette affaire met en lumière les divisions persistantes au sein de la communauté des logiciels libres. Les débats entre partisans de la GPLv2, de la GPLv3 et de la licence Apache reflètent des visions divergentes sur la manière de garantir la liberté logicielle tout en s'adaptant aux réalités technologiques et juridiques contemporaines. Ces tensions ne sont pas uniquement techniques ou juridiques ; elles sont également idéologiques, comme en témoignent les commentaires souvent polarisés autour des concepts de communisme, de socialisme et de capitalisme. Ces analogies, bien que parfois excessives, révèlent à quel point les licences libres sont perçues comme des instruments de lutte contre les logiques propriétaires et pour la préservation des libertés individuelles et collectives.

Enfin, cette affaire soulève des questions plus larges sur la gouvernance des logiciels libres et la capacité de la communauté à résister aux pressions des modèles propriétaires. Si la GPLv3 a introduit des avancées significatives, comme la clause anti-tivoïsation et les dispositions sur les brevets, elle reste confrontée à des défis majeurs pour maintenir son équilibre entre liberté et contrainte. L'issue de ce procès pourrait non seulement influencer l'évolution des licences libres, mais aussi servir de catalyseur pour des discussions plus approfondies sur la manière de protéger les libertés numériques dans un paysage technologique en constante évolution.


En conclusion, cette affaire juridique est bien plus qu'un simple débat technique : elle incarne les luttes pour la liberté dans l'ère numérique. Son issue pourrait marquer un tournant décisif pour l'avenir du copyleft et des logiciels libres, mais elle nécessite une attention accrue et une mobilisation collective pour garantir que les principes de liberté et de collaboration ne soient pas sapés par des interprétations restrictives ou des pratiques abusives.

Source : Software freedom Conservancy

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Cette affaire pourrait-elle marquer un tournant vers une plus grande privatisation des logiciels libres, malgré les principes du copyleft ?

Quels seraient les impacts pratiques pour les développeurs et les utilisateurs si les « restrictions supplémentaires » devenaient courantes dans les licences libres ?

Quelles mesures pourraient être prises pour renforcer la protection des libertés numériques face aux pressions des modèles propriétaires ?

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